
On ne présente plus Jerome Charyn, né à New York en 1937 et auteur d'une vingtaine de romans, d'essais et de bandes dessinées (en collaboration avec Boucq et Loustal) : c'est sans doute l'un des écrivains les plus marquants que les Etats-Unis nous aient donnés (inoubliable Poisson-chat ou encore Frog).
Lui aussi, et de quelle manière, se penche sur son enfance, dans La Belle ténébreuse de Biélorussie** qui est une traversée magique du Bronx des années quarante, et un portrait époustouflant de femme (sa mère) constamment exilée d'elle-même. Originaire de Moguilev, en Russie blanche, réfugiée aux Etats-Unis pendant la guerre, Faigele (en yiddish : oiseau), doit survivre et faire vivre sa famille. Mais qu'elle soit croupière pour le compte d'un gros bonnet du Bronx, « chameau » pour son ami Chick, véritable Robin des Bois du marché noir ou, de retour à l'usine, trempeuse de cerises dans du chocolat, Faigele traverse la vie en somnambule, toujours sur « une ligne brisée », et suscite la fascination (et quelquefois la peur) partout où elle passe.
C'est son fils Jerome (dit la Teigne) qui raconte l'histoire, trace le portrait d'une mère aux manières insolentes qui n'a pas froid aux yeux, comme on dit, et brave les dangers les plus extrêmes. Mais c'est plus qu'un portrait, une photographie aux contours plus ou moins nets : il s'agit d'une légende (toute mère, pour son fils, n'est-elle pas une légende vivante ?) et aussi d'une interrogation sur l'origine de l'écriture. Comment devient-on écrivain, et pourquoi ? Chez Charyn, exilé russe parmi les exilés, puis chassé de l'école, écrire est une opération de survie : « il fallait que nous fixions chaque mot, que nous le fassions résonner sur notre langue, avant qu'il ne consente à nous livrer son secret. Les mots flottaient, accrochés à un filin, tels des navires sur une mer moutonneuse, et il fallait leur accorder toute l'attention d'un capitaine au long cours si l'on voulait jamais apprendre à lire. »
*Jerome Charyn, La belle ténébreuse de Biélorussie, Folio.
« Un petit roi, un papa vite effacé, une mère lascive. Œdipe hante toujours la littérature. Constamment remise au goût du jour, sa figure a subi des liftings. Dans L'Amour fantôme, Jean-Michel Olivier réussit où tant d'autres ont échoué. Sans paraphraser le mythe. Avec de jolis coups de scalpel. L'auteur a la plume incisive. Surtout quand il s'agit de démonter les absurdités des prêcheurs d'Apocalypse. Il promène un regard ironique sur les aventures du pauvre Colin. Il décrit parfois avec froideur ses personnages. Mais il sait aussi, dans des scènes intimes, retrouver la langue, fraîche et maladroite, de l'amour. Quant aux clins d'œil à la tragédie antique, ils restent subtils (la mère se prénomme Reine et Colin est malvoyant). Sophocle peut dormir tranquille. La relève est assurée. »