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  • Petit hommage aux cancres

    Dans la plupart des gymnases, lycées, collèges, écoles professionnelles, les examens sont terminés. C'est l'heure de vérité pour celles et ceux qui ont trimé toute l'année, les bons élèves donc, qui ont compris les règles du système, et les appliquent à la satisfaction des profs et des parents. Mais pour les autres aussi, c'est la fin de l'année, les touristes professionnels, les doux rêveurs, les grands contemplateurs de plafonds ou de fenêtres, les apprentis-graveurs sur les pupitres (et dans le dos du maître), les muets, les bouchés, les distraits, les étourdis, les dormeurs éveillés, tous ceux qui n'ont jamais leur matériel, ni livre, ni cahier, ni stylo bien sûr…

    Pour tous ceux-là, la fin de l'année rime avec la fin des haricots — c'est-à-dire des illusions…

    Rendons hommage, aujourd'hui et solennellement, aux rois du canular involontaire, de l'aphorisme déconcertant, tous ces pêcheurs de perles sans qui l'école ne serait pas l'école.

    Longue vie aux cancres dont voici un florilège des perles de culture :

    Lien permanent Catégories : badinage
  • La Justice en spectacle

    images-1.jpegPeu d’affaires ont autant défrayé la chronique judiciaire (et mondaine) que l’affaire Édouard Stern. Inutile de rappeler les faits : ils inondent les pages des quotidiens et des hebdomadaires, submergent les radios, prolifèrent sur les blogs et sont livrés par tranches, en feuilleton, sur toutes les chaînes de télévision. L’affaire a même inspiré plusieurs livres : l’enquête fouillée de deux journalistes, Valérie Duby et Alain Jourdan (Mort d’un banquier, éditions Privé, 2006) et pas moins de quatre romans : Latex de Laurent Schweizer (Le Seuil, 2008) ; Les Orphelins d’Hadrien Laroche (Allia, 2008), Comme une sterne en plein vol de Julien Hommage.
    Ce qui frappe dans le parfait quadrillage de l’affaire (pour ne pas dire matraquage), c’est que les faits, dorénavant, sont connus de tous. Les moindres détails ont été révélés au public ; l’emploi du temps des deux protagonistes, Cécile B. et Édouard S., reconstitué heure par heure, sinon minute par minute ; chaque parole, chaque regard et chaque geste avéré.
    La vie la plus intime est ainsi exhibée sur la place publique : c’est le triomphe de la société de spectacle chère à Guy Debord.
    Le plus étrange, on s’en doute, c’est que l’affaire S., comme toute affaire judiciaire, est couverte par ce qu’on appelle le secret de l’instruction. Autrement dit : l’obligation faite à toutes les parties (avocats, partie civile, témoins, etc.) de ne rien révéler de l’affaire avant l’ouverture du procès.
    Jugez du résultat !
    Constamment sollicités par les médias friands de révélations, les avocats des deux parties se sont répandus en déclarations péremptoires. Avec son panache habituel, Me Bonnant, défenseur de la famille Stern, a parfaitement joué son rôle d’avocat outragé ; en face de lui, Me Maurer, défenseur de Cécile B., a contre-attaqué avec vigueur. Quant au procureur Zappelli, il a clamé sur tous les tons qu’il ne pouvait rien dire… Mais que l’affaire ne relevait ni d’un complot, comme certains voulaient le faire accroire, ni d’un règlement de comptes, bien au contraire…
    À l’heure où s’achève à Genève le procès, tout semble donc déjà scellé, sinon par un accord tacite entre les parties, du moins par un filtrage savant des informations diffusées à la presse. On connaît la victime : Édouard S. On connaît la coupable : Cécile B. On connaît le mobile : l’argent.
    Certes, le tribunal est un théâtre qui fait toujours la part belle aux grands rôles comme aux modestes figurants, aux belles paroles comme aux effets de manche. Mais quand la Justice se donne ainsi en spectacle, quand elle devient l’emblème ostentatoire de la société de spectacle, on est en droit de s’inquiéter.
    Dans ce théâtre de marionnettes, qui manipule qui ? La presse qui déballe tout (mais qui fait son travail) ? Les avocats qui bluffent  ? L’inculpée qui simule (ou non) la folie ? Ou l’opinion publique toujours avide de scoops et de jugements à l’emporte-pièce ?
    Au fond, la question que ravive le traitement médiatique de l’affaire Stern est toujours la même : à qui, dans notre société saturée d’images et d’informations, profite le spectacle ?

  • Les larmes d'Eros

    images-1.jpegL'affaire Stern n'est pas un fait divers comme les autres. Bien sûr, il mélange à l'envi tous les ingrédients d'un (mauvais) polar : l'amour et le pouvoir, l'argent et les pratiques extrêmes. À cela il faut ajouter un piment typiquement helvétique : la passion du secret. Les amants diaboliques ont beau courir le monde, passer un week-end à New York ou aller se baigner dans les Bermudes, en quête d'un impossible oubli, c'est toujours à Genève qu'ils se retrouvent, et finiront par sceller leur destin.
    Genève : ville du secret, des tractations furtives, des coffres hermétiques, où tout peut se vendre et s'acheter.
    L'argent, on le sait, est le nerf de l'histoire puisqu'il permet de tout s'offrir, le nécessaire comme le superflu, la gloire éphémère comme les plaisirs faciles. Cécile Brossart et Édouard Stern, l'un comme l'autre, sont tombés dans le piège. Elle, de son enfance en miettes entre une mère dépressive et un père libertin, abusée à 10 ans, quittant l'école à l'adolescence, ne vit que dans l'espoir d'une reconnaissance (qui l'aidera à renaître). Et cette reconnaissance, pour cette femme-enfant, cette « romantique libidinale » (Pascal Bruckner), passe nécessairement par l'amour. Comme par l'argent. D'où le besoin — vital —  de monnayer ses faveurs. Non seulement pour gagner sa vie, telle une femme vénale, mais aussi et d'abord pour se sauver. Et lui, de son enfance dorée à Paris, entre un père méprisant et une mère célèbre (c'est la première épouse de Jean-Claude Servan-Schreiber), descendant d'une lignée de banquiers fondée au XIXème à Francfort, grandi dans le silence et le secret, la haine de soi, aspire également — comme Cécile, mais de l'autre côté du miroir — à la reconnaissance. Ses moyens financiers, bien sûr, sont incomparables, et même illimités. Il appartient au gotha de la haute finance. C'est un requin, disent ceux qui l'ont connu, un prédateur qui, à force de raids impitoyables et d'opérations audacieuses, va bâtir la 38ème fortune de France. Un homme craint et respecté. Un intouchable.
    On comprend mieux, maintenant, ce que ces deux-là faisaient ensemble, la femme-enfant et le requin. Ce qu'ils cherchaient à corps perdu, Et pourquoi ils se sont reconnus.
    La vraie connaissance, écrivait Georges Bataille, se fait toujours dans les larmes d'Eros. L'amour est cette épreuve de vérité qui fait tomber les masques, même les mieux ajustés. À ce propos, Bataille parlait de corrida, de mise à mort. C'est dans l'expérience sexuelle, qui nous fait oublier le monde et disparaître à nous-mêmes, qu'Eros rencontre fatalement Thanatos. Dans le sang, le sperme et les larmes.
    Si l'amour est la chance, peut-être unique, de renaître grâce à l'autre, la mort est aussi le prix à payer, parfois, exorbitant, de la reconnaissance.*

    * Texte paru dans Le Matin dimanche du 7 juin 2009.