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  • Jérôme Meizoz et l'ombre du père

    578226478.jpgLes lecteurs romands connaissent bien Jérôme Meizoz : professeur de littérature à l’Université de Lausanne, auteur d’essais remarquables sur Ramuz, Lovay, Chappaz, Rousseau, et également de quelques récits brefs et percutants, comme Jours rouges (Editions d’En-Bas, 2003) ou Les Désemparés (Zoé, 2005). Dans Père et passe*, Meizoz ressuscite la figure de son père à travers des images, des éclats de voix et de rire, des cendres du passé : « La vie hurle et plante ses serres en nous, on se retourne pour voir d’ou est venu le coup : appeler ça des souvenirs. »
    À la manière d’un Pierre Michon ou d’un Pierre Bergounioux, Meizoz aime à ressusciter les « vies minuscules », les destins silencieux, dédaignés, oubliés. Lui qui, par ses études et sa passion, est le maître des mots, essaie de briser ce barrage de silence (et d’émotions) qui le sépare de son père, dont le souvenir est encore si vivace en lui. L’écriture de Meizoz, par petites touches de couleur, excelle à restituer l’univers de l’enfance dans un petit village valaisan qui est pour son père le centre du monde et « quand il en parle, ce lieu se tisse d’immensité ». Ce père « rouge » qui affiche le portrait de Karl Marx au salon et menace d’envoyer son fils à  « Bümplitz » — suprême punition ! — s’il ne rapporte pas de bons résultats de l’école ! 
    Si le livre de Meizoz cherche à ressusciter son père, pour se réconcilier avec lui, c’est aussi une sorte de transsubstantiation, « comme s’il fallait que père soit dématérialisé d’abord, démembré en chiffres et caractères, puis reconstitué en corps d’encre, pour me revenir enfin sous cette forme pérenne. » Par la magie des mots reste un portrait, en gestes et en éclats de voix, saisissant de tendresse et de vie, qui est un dernier pied de nez à la mort.
     Père et passe de Jérôme Meizoz, Éditions d’en bas et Le Temps qu’il fait, 2008. 

  • Radiophonie et pédophilie

    1840571996.jpgIl faut goûter, à sa juste valeur, le regard malicieux et gourmand d'Esther Mamarbachi ou du solide Darius Rochebin quand, chaque soir, à l'heure de la grand-messe, ils évoquent, des trémolos dans la voix, les derniers rebondissements de l'affaire des « images à caractère pédophile » découvertes sur l'ordinateur d'un collaborateur de leur grande rivale : la RSR! Il faut goûter le souci du détail, l'absence de tout esprit critique et surtout cet air de sourde réprobation qui caractérise, parfois, nos Grandes-Têtes-Molles de la TSR…
    De cette « affaire », qui occuperait trois lignes dans un torchon de n'importe quel pays démocratique, tant elle paraît insignifiante, nos dinosaures de l'actualité sont parvenus à faire un feuilleton à épisodes. Autant pour tenir le pauvre téléspectateur en haleine (en otage) que pour suggérer, implicitement, que de telles « affaires » ne peuvent éclater qu'à la RSR. On reconnaît bien là l'esprit revanchard genevois, si jaloux de la Radio romande, qui fait tellement mieux son travail que les gens de la Tour en étant véritablement à l'écoute d'une région et d'une langue, au lieu de lorgner, comme ceux qui louchent, du côté de Paris (sans avoir, bien entendu, les moyens de rivaliser avec elle)!
    Chaque soir, l'affaire des « images à caractère pédophile » de la RSR occupe dans le Téléjournal une place aussi importante que la libération (de moins en moins probable, hélas) d'Ingrid Bétancourt ou la gracieuse révérence de Carla Bruni devant la Reine d'Angleterre. Car il faut bien planter le clou. Plus l'information est insignifiante (et peut nuire à son rival) plus on la ressasse à l'envi, chaque soir, avec des nouvelles interviews inutiles, des témoignages en langue de bois, des images montrant une poignée de pseudo-grévistes hurlant des slogans assassins devant les caméras!
    Dans l'univers impitoyable des médias, cela s'appelle la concurrence. 
    Espérons encore de multiples rebondissements: la mise en examen du directeur de la RSR, par exemple, pour insubordination, la réintégration forcée de l'informaticien qui a joué les Big Brother, le licenciement de tous les collaborateurs qui ont refusé de faire la grève…
    Heureusement que la télévision, dans notre pays, est au-dessus de tout soupçon! 
     

  • Cinq vivants pour un seul mort

     
    460258366.gif Née en 1967 en Valais, Catherine Lovey passe très tôt sa vie à lire et à écrire.  Mais c’est un second choix ; elle voulait un piano et à la place elle reçoit une  machine à écrire, orange et noire. Journaliste à La Tribune de Genève, puis à L’Hebdo, elle écrira alors dans de la rubrique économique, puis entreprend un postgrade en criminologie. Enfin, elle se décide à sortir de son armoire un manuscrit intitulé L’Homme interdit. Le texte est publié aux éditions Zoé en 2005 et rencontre beaucoup d’intérêt.
    Avec Cinq vivants pour un seul mort*, son deuxième roman, Catherine Lovay n’a peur de rien. Une intrigue minimale, une construction déroutante, un récit qui avance à son rythme, tantôt par ellipses, tantôt à très petits pas. Le livre commence comme une enquête policière : Markus Festinovitch, le meilleur ami de Jean, le narrateur, vient de se suicider, alors qu’il visitait un nouvel appartement en compagnie de sa maîtresse. Pour Jean, cette mort est une énigme qu’il va essayer d’élucider. Commence une enquête délicate. Mais, très vite, le centre d’intérêt du livre se déplace. L’enquête que mène le narrateur sur son ami tourne à l’introspection ou l’autoanalyse. Une introspection qui, d’ailleurs, le mènera aux confins de la folie. Après avoir découvert que son meilleur ami vivait sous un faux nom, et qu’au fond Jean ne savait rien de lui, le narrateur décide de partir en Finlande, sur les traces de son ami défunt. La seconde partie du livre, partie de transition, met en scène la rencontre entre le narrateur et Aïda, femme de chambre dans l’hôtel où il réside. Quelque chose se noue entre les deux personnages, qu’on aimerait peut-être voir se développer ou se dénouer. Mais Jean, oubliant Aïda, repart pour le Nord du pays où il va rejoindre le frère de son ami suicidé, Peter, qui vit seul avec sa petite fille. Une étrange rencontre, qui se noue autour d’un accident, transformera la vie de Jean dans son nouveau pays.
    Comme on le voit, Catherine Lovey, dans ce roman qui ressemble à un polar, mais qui n’en est pas un, aime à brouiller les pistes. Son écriture est déroutante, tantôt vive et alerte, tantôt jouant sur les longueurs (l’ouverture du roman est un peu langoureuse !). Catherine Lovey a du style, une logique rigoureuse, une manière tout à fait originale de construire son récit. On avait salué ces qualités pour L’Homme interdit. Peut-être a-t-elle besoin, pour déployer tous ses talents, d’un sujet plus costaud : ici, le suicide de Markus Festinovitch n’est qu’un prétexte à la dérive identitaire de son meilleur ami, qui est le vrai sujet du livre. On saura peu de choses sur Markus (qui s’appelle en réalité Peterssen-Mink), presque rien sur Aïda, et quelques rudiments sur Peter. Catherine Lovey aime à jouer sur l’attente du lecteur et ses déceptions. Elle maîtrise, en cela, les ficelles du roman et démontre, une fois encore, un vrai talent d’écrivain.
    Catherine Lovey, Cinq vivants pour un seul mort, éditions Zoé, 2008.