On parle beaucoup, ces jours-ci, du dernier roman de Julien Sansonnens, Septembre éternel*, paru chez Michel Moret. À raison ! C'est l'un des romans les plus forts et les plus intelligents de cette rentrée littéraire. Un livre touffu et ambitieux, très bien construit, qui dresse une sorte d'état des lieux de la France périphérique d'aujourd'hui — radiographie sans concession du délitement d'une société autrefois triomphante.
L'intrigue est simple et magistralement menée : Marc Calmet (allusion à L'Ogre de Chessex ?), libraire dans le sud-est de la France, se rend à Paris pour vendre son affaire à un grand groupe de vente en ligne chinois qui a décidé de s'installer en France. Il a la soixantaine, deux enfants hors du nid, des amis dans la région, mais est gagné par une grande lassitude du siècle. Cet ancien militant socialiste s'est éloigné de son parti, obsédé par les luttes transversales, l'antiracisme, l'écriture inclusive et les revendications minoritaires. Depuis Mitterrand, la gauche s'est fourvoyée et perdue en chemin. Et il porte un regard sans pitié sur l'état de la France livrée aux loups de la mondialisation, de la finance internationale et des inégalités croissantes.
C'est une sorte de road-movie que nous propose Sansonnens : Calmet décide de se rendre à Paris par les petites routes de campagne, en plusieurs jours, prenant le temps de passer au scanner les villages abandonnés, ou presque entièrement désertés par leurs habitants, partis, pour la plupart, dans les grandes métropoles où la vie est plus facile. L'auteur excelle à décrire les paysages somptueux que traverse Calmet, la nature triomphante, les forêts, les rivières, les ciels chargés d'automne. Bien sûr, le constat n'est pas rose : la globalisation, qui a rendu les villes si riches et si attrayantes, a laissé sur la touche toute la province oubliée, comme abandonnée à elle-même. L'analyse que nous livre Sansonnens, d'une précision chirurgicale, fait froid dans le dos : dans quelque temps, il ne restera rien de ces périphéries en ruine, simplement effacées de la carte de France.
Le propos rappelle celui de Sylvain Tesson (Les chemins noirs**) parcourant à pied la France des sentiers peu battus. Un même constat rapproche les deux livres sur l'abandon de ces provinces par les élites parisiennes qui profitent largement des avantages de la mondialisation.
On pardonnera beaucoup à Julien Sansonnens — même d'avoir consacré tant de pages à Michel Sardou, que Calmet suit à la trace dans au moins quatre de ses concerts ! Mais Sardou — chanteur populaire catalogué à droite, mais du genre insituable — cadre bien avec la narration corrosive du livre. À titre personnel, je préfère Nino Ferrer, autre personnage du roman, qui me touche beaucoup plus.
On ne raconte pas un road-movie : le périple de Marc Calmet, en même temps qu'une plongée dans la France d'en bas, est un voyage initiatique où celui-ci se découvre à chaque étape, par son regard sur le monde extérieur et par le flot des souvenirs qui l'assaillent, heureux ou malheureux, et qui lui donnent sa profondeur.
« Le monde dans lequel je suis né n'existe plus : est-ce cela qu'on appelle vieillir. Je demeure comme retenu dans un mois de septembre éternel, dans ce peu que constitue désormais le présent, matériellement confortable et sans beaucoup d'intérêt. »
Bref, un grand roman, épique, profond, d'une grande générosité, mais aussi plein d'humour. Une traversée du siècle qui laisse souvent le lecteur ébahi devant la force de cette démonstration et le constat sans concession qui en découle.
* Julien Sansonnens, Septembre éternel, éditions d l'Aire, 2021.
** Sylvain Tesson, Les Chemins noirs, Folio, 2019.