On ne présente plus Jean-Pierre Mocky : comédien, producteur, réalisateur, né à Nice en 1933, il a signé plus de soixante films et autant de courts métrages. C'est l'un des réalisateurs français non seulement les plus prolixes, mais surtout les plus intéressants. Une vie entière vouée au cinéma, à faire entendre sa voix libre et singulière et à lutter contre ceux qui aimeraient faire du cinoche une grande machine à décérébrer l'être humain…
La vie de Mocky ressemble à ses films : une aventure palpitante, pleine de bruit et de rebondissements, où les films, plus ou moins réussis, plus ou moins couronnés de succès, tiennent lieu de calendrier. Noël Simsolo, scénariste, historien du cinéma et romancier, a eu l'excellente idée d'interroger Mocky sur son parcours artistique. Cela donne un livre d'entretiens tout à fait passionnant, La longue marche*, qui est une véritable histoire du cinéma français de l'après-guerre.
Le livre est divisé en quatre parties qui résument parfaitement le parcours, glorieux, mais accidenté de Jean-Pierre Mocky. D'abord une plongée précoce dans le monde des adultes, puisque le jeune Mocky se retrouve père à l'âge de treize ans (généreux de lui-même, il prétend être le père de 17 enfants !)… Obligé de gagner sa vie, il va tout de suite écumer les plateaux de cinéma et les cours de théâtre. Il fait bien sûr tous les métiers, devient l'assistant d'Antonioni, de Fellini, puis doit réaliser La Tête contre les murs (1958), avant que l'on confie le film à Georges Franju. Mocky y tient le rôle principal aux côtés de Paul Meurisse, d'Anouk Aimée et de Pierre Brasseur.
Ce film annonce une longue série de « fables caustiques », initiée par Les Dragueurs (1959), et poursuivie par Un drôle de paroissien (1963), qui donne à Bourvil l'un de ses meilleurs rôles, celui d'un pilleur de troncs d'église. Puis il y aura La grande lessive, Solo, L'Étalon… Autant de films qui seront des succès, mais rendront, peu à peu, les producteurs méfiants face à la liberté de ton de Mocky — un animal qui n'entre décidément dans aucune cage…
Ce réalisateur extrêmement doué (et prolixe) se verra marginaliser au fil du temps, bien qu'il réalise toujours ses films avec des acteurs populaires (tous les grands acteurs français ont tourné avec lui, de Michel Simon à Francis Blanche, en passant par Bourvil, Richard Bohringer et bien sûr Michel Serrault, inoubliable dans À mort l'arbitre).
Vengeance du système qui punit ceux qui le critiquent !
Chaque fois, Mocky trouve une parade. On ne veut plus produire ses films ? Il les produit lui-même. On lui interdit l'accès aux studios ? Il tourne des courts-métrages. À cet égard, le livre de Mocky est instructif : il y a toujours moyen de contourner la censure (financière) du système pour réaliser le film que l'on doit faire. Pas besoin de budget pharaonique pour faire un bon film ! Par contre, il faut beaucoup d'obstination et de courage, car l'indépendance coûte cher…
Au long de sa (longue) carrière, Mocky a traité à peu près tous les thèmes de société : la corruption des politiques, le refoulé sexuel (dans Les Saisons du Plaisir), la pédophilie, le rapt d'enfant, la bigoterie, les ballets roses, etc.). Ses films, s'ils ne passent plus en salle, ni à la télévision, sont heureusement disponibles en DVD.
Au final, on s'aperçoit que Jean-Pierre Mocky — malgré cent mille contretemps — a gagné la partie. Son œuvre immense en témoigne. Il vaut la peine de la redécouvrir, surtout à une époque où le cinéma purement commercial envahit les écrans. Et il n'y a pas de meilleure introduction à ses films que cet épatant livre d'entretiens avec Noël Simsolo, intitulé La longue marche*.
* Jean-Pierre Mocky, La Longue marche, entretiens avec Noël Simsolo, éditions Neige et Écriture, 2014.