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L'Amour nègre séduit Paris

lAmourNegre2.jpg« Ces dernières années, les écrivains de Suisse alémanique ont fait main basse sur les prix littéraires parisiens. En 2008, Charles Lewinsky obtenait le prix du Meilleur livre étranger tandis qu'Alain Claude Sulzer décrochait le Médicis étranger. L'an dernier, c'est Matthias Zschokke qui a été couronné par le Femina étranger. Mais point de Romand depuis belle lurette! Une génération a eu le temps de grandir depuis le Médicis de l'essai attribué à Georges Borgeaud en 1986. Sans parler du fameux Goncourt de Jacques Chessex qui remonte à 1973... Le prix Interallié qui vient de récompenser «L'amour nègre» de Jean-Michel Olivier est donc un événement.

De retour dans son appartement genevois, Jean-Michel Olivier a la tête encore bourdonnante de l'agitation parisienne. Dans sa cuisine, devant un café, il raconte sa journée de mardi: «Je suis arrivé à Paris le matin et je me suis rendu chez mon éditeur. Bernard de Fallois m'a reçu dans son bureau. C'est un personnage: ami de Malraux, exécuteur testamentaire de Marcel Pagnol, il a 84 ans et continue de tout diriger dans sa maison d'édition. Le téléphone a sonné. Fébrile, Bernard de Fallois a répondu et m'a tout de suite dit que c'était une bonne nouvelle...»

Un quart d'heure plus tard, l'écrivain et son éditeur sortent du métro et se pointent au restaurant Lasserre, non loin des Champs-Elysées, où le jury de l'Interallié se réunit depuis 1930. Journalistes et photographes sont là en nombre. Jean-Michel Olivier plonge dans ce bain de notoriété. Puis vient le rite de l'apéro et du repas avec les jurés: «Tout s'est passé de manière très naturelle, comme s'il y avait eu un grand ordonnateur de la cérémonie.» L'auteur de «L'amour nègre» est reconnaissant à l'éditeur Vladimir Dimitrijevic (le patron de L'Age d'homme où il a publié l'essentiel de son oeuvre) d'avoir cru en son roman: «Il a pressenti que c'était un gros morceau et qu'il fallait le coéditer avec de Fallois.»

Vaudois ou Genevois
Dans 24 Heures, on présente volontiers Jean-Michel Olivier comme un «écrivain vaudois» né à Nyon en 1952. Dans la Tribune de Genève, les critiques parlent plutôt d'un «auteur genevois» et, n'en déplaise aux voisins vaudois, ils ont quelques arguments de leur côté. C'est au bout du lac, en effet, que Jean-Michel Olivier a fréquenté l'Université où Jean Starobinski et Michel Butor donnaient leurs cours. Et c'est à Genève qu'il vit depuis lors.

1978 est pour lui une date clé. Cette année-là, Jean-Michel Olivier devient professeur au Collège de Saussure, au Grand Lancy, où il continue aujourd'hui d'enseigner le français et l'anglais. Et c'est en 1978, aussi, qu'il emménage dans un immeuble vétuste de la rue du Fort-Barreau, derrière la gare Cornavin. «J'ai commencé à écrire sérieusement quand je suis arrivé ici. Il y a dans cette maison un côté bohème qui lui donne un petit air de Chelsea Hotel...»

Un de ses voisins est un traducteur du psychanalyste Georg Groddeck. Une chanteuse d'opéra habite à un autre étage. Si l'on en croit certaines rumeurs, Lénine lui-même se serait arrêté à cette adresse où, un soir de 1917, il aurait déniché la perruque sous laquelle il s'est dissimulé à son retour en Russie. Dans un récit touchant de 2008, «Notre dame du Fort-Barreau» (L'Age d'homme), Jean-Michel Olivier raconte cet immeuble et sa propriétaire excentrique: «C'est bien à tort que l'on croit habiter certains lieux, alors que ce sont eux, souvent, qui vous habitent.»

Au clavier
Dans son bureau, les parois de livres montent jusqu'au plafond. On repère une guitare posée sur une armoire. Et un piano logé sous la mezzanine. Une ou deux heures par jour, Jean-Michel Olivier s'installe devant le clavier. Ses goûts le portent vers le jazz. Il écoute Bill Evans, Oscar Peterson, Brad Mehldau. «Dans le jazz, j'aime l'improvisation que je retrouve dans l'écriture. Là aussi, on a beau avoir une trame, il faut toujours sortir des sentiers battus et improviser.»

Cette oreille musicale fait la qualité de son style vif, rapide, bondissant comme les aventures d'Adam dans «L'amour nègre». Ce roman, qui tient de la fable philosophique comme on en écrivait au siècle des Lumières, montre un bon sauvage arraché à son Afrique natale pour être projeté dans l'univers de la jet-set et de son consumérisme haut de gamme. Un couple d'acteurs hollywoodiens a convaincu le père d'Adam de l'échanger contre un téléviseur à écran plasma. C'est le début d'une aventure féroce, drôle et futée qui va rebondir d'un continent à l'autre avant d'aboutir à Genève. Il y a dans ce roman la même fraîcheur juvénile qui frappe chez son auteur. Comme si la maison de la rue Fort-Barreau l'avait aussi protégé du ramollissement qui vient avec l'âge. »

Article de Michel Audétat, paru dans Le Matin Dimanche, le 20.11.2010.

Photo © Magali Girardin

 

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