J’apprends à attraper les criquets en plein vol, je leur arrache la tête et les pattes, je les écrase entre les dents comme du bois de réglisse. J’ai quatre ans et je poursuis ma sœur qui poursuit une sauterelle grise entre les touffes de chardons desséchés. Il fait très chaud. C’est l’éternel été. Le sol est couvert de gros insectes noirs. À chaque pas, leur carapace éclate en faisant de petites explosions. Ma sœur détale à travers la savane. Elle se retourne vers moi et me nargue, une dernière fois, en me tirant la langue. Puis son pied glisse sur une pierre. Mouna perd l’équilibre et disparaît dans le ravin profond. J’arrive, je crie, je vois ma sœur rouler entre les pierres et les racines. Elle ne bouge plus. Elle a la bouche ouverte, la tête fracassée par sa chute. Je me retourne, j’appelle de toutes mes forces. Mais je suis trop loin du village. Personne n’entend mes cris. Dans l’air lourd, les oiseaux noirs tournent en piaillant. Le soir descend. Des buissons s’échappe le cri strident des sauterelles, comme la voix même de la chaleur. Avec la nuit arrivent les chacals et les hyènes. Je leur lance des pierres. J’appelle encore une fois à l’aide. Les charognards se battent pour un bras, une jambe, un simple lambeau de chair. Au matin, il ne reste plus rien. Ma sœur a rejoint la grotte des ancêtres. J’ai la tête qui résonne comme un djembé.