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Partir, dit-il

Il y a des livres dont la nécessité s'impose, d'emblée, dès les premières pages. BW*, le dernier livre, au titre étrange, de Lydie Salvayre, est de ceux-là. D'entrée de jeu, le lecteur est happé par un récit haletant, des phrases courtes qui ricochent comme des balles, un ton qui le prend à la gorge. Lydie Salvayre, dont on connaît La Puissance des mouches** et La Compagnie des spectres**, se fait le scribe, dans BW, de l'homme qu'elle aime. À la fois pour retranscrire sa pensée et pour le sauver, au double sens du terme.

lydie.jpeg Derrière ces deux lettres, BW, se cache un homme au destin singulier, Bernard Wallet, qui tâta d'à peu près tous les métiers, fut un grand voyageur et un sportif émérite (sélectionné pour le 800m aux JO de 1968), avant d'entrer dans l'édition. D'abord chez Gallimard, où il sera représentant (en Belgique et en Suisse) ; puis à son propre compte, quand il fondera, en 1997, les éditions Verticales, important découvreur de talents dont la devise était d'être « un centre de ralliement des divergences ».

Le point de départ de ce long monologue (rapporté par Lydie Salvayre, qui en interrompt souvent le fil pour y mettre son grain de sel) est un accident de santé : en 2008, BW est victime d'un grave décollement de rétine, qui nécessitera plusieurs opérations. Pendant près d'un mois, il sera plongé dans le noir, incapable, bien sûr, de lire et d'écrire. Pendant cette traversée de la nuit, BW se confiera, comme jamais, à la femme qu'il aime (et qui l'aime). Il racontera ses voyages, ses exploits sportifs et amoureux (assez discrètement), sa passion pour les livres. Et peut-être surtout pour les nouveaux talents, qu'il aime débusquer et encourager.

Mais le vrai centre du livre — outre l'expérience traumatisante de la cécité — c'est la volonté de partir. Lydie Salvayre découvre que BW est et a toujours été un homme qui part. Toute sa vie, il aura quitté ce qu'il aimait, brusquement, comme sur un coup de tête : l'athlétisme juste au moment où il fait partie de la sélection française du 800 m, puis l'édition générale. Enfin, sa propre maison d'édition, son enfant, qu'il décide d'abandonner en d'autres mains, découragé par la nouvelle idéologie (du succès à court terme) qui préside au monde de l'édition française. Monde auquel il se sent de plus en plus értanger.

C'est donc l'aveu de cette étrangeté que recueille Lydie Salvayre, qui en apprend tous les jours sur l'homme qu'elle aime. Étranger au monde contemporain, étranger à l'édition, étranger aux mondanités, aux usages, aux bonnes manières. Le récit d'une rupture annoncée (par toute une vie de départs). Un aveu à la fois bouleversant et étonnant. Lydie Salvayre transcrit les paroles de BW de manière brute, sans fioritures, presque sans intervenir. On sent que l'écriture du livre s'est imposée d'elle-même — même si, parfois, on peut regretter l'absence de construction (et certains clichés lourdauds, en particulier sur la Suisse, pays trop tranquille, qui affiche « les avis de recherche de la bande à Baader même dans les stations d'essence »!). BW est un beau portrait d'homme en rupture, généreux et contradictoire, furieux et en sursis de vue.

* Lydie Salvayre, BW, Le Seuil, 2009.

** Les deux livres de Lydie Salvayre sont publiés au Seuil, dans la collection « Points ».

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