A la veille de la grande mascarade fédérale, où chacun se pousse des coudes en espérant faire trébucher le voisin, sans avoir le courage ni l'envergure pour briguer une place de haute responsabilité, il est sain de parler d'autre chose. Et pourquoi pas de littérature, me direz-vous? Aie, aie, aie! J'en vois déjà qui quittent ce blog pour aller s'étourdir sur des sites moins sérieux, comme celui de Pascal Décaillet ou du Maire de Genève…
Je vous propose une expérience tout à fait stimulante…
Il y a quelque temps, je me promenais dans les rues de Montréal, dans la belle province du Québec, invité à venir y parler, dans deux importantes Universités, des auteurs suisses que j'aime. Candide en la matière, j'abordai une jolie passante, emmitouflée dans son loden, et engageai la conversation : « Excusez-moi, mademoiselle ! Je suis de passage à Montréal et je m'intéresse beaucoup à la littérature canadienne. Pourriez-vous me conseiller un ou deux auteurs importants d'aujourd'hui ? »
Sans un mot, elle me prit pas le bras et m'emmena dans la librairie la plus proche. C'était une grande librairie, qui ressemblaient aux nôtres, à la différence près que les livres canadiens n'étaient pas confinés dans l'arrière-boutique (sinon dans des cartons fermés), mais occupaient la vitrine et la plus grande partie des tables-présentoirs.
— Qu'est-ce qui vous intéresse? demanda la jeune femme.
— Tout, répondis-je. Mais il me suffirait d'un ou deux noms…
Elle commença alors à me vanter les mérites de Dominique Lavallée (La Course folle des spermatozoïdes, 2003), Hedi Bouraoui (Rose des sables, 1998), Louise-Anne Bouchard (Les Sans-soleil, Vai Piano), Normand Chaurette (Le Petit Köchel, 2001) et bien sûr Réjean Ducharme (Dévadé, 1991)…
Elle s'empressa de poursuivre : « Mais ce n'est qu'un choix subjectif. Je pourrais vous citer quinze autres auteurs canadiens importants d'aujourd'hui.
— Tout le monde les connaît ici ? demandai-je.
— Oui, bien sûr. On commence à les lire à l'école primaire, puis au lycée, puis, bien sûr, à l'Université. Les journaux en parlent, comme la radio et la télévision. Ce n'est pas la même chose chez vous?
— En Suisse, c'est plutôt l'omerta. Quand un livre important sort (ou dérangeant, ou atypique, ou poétique, ou original), on s'arrange pour ne pas en parler. Ou on liquide la chose en dix lignes en bas de page dans Le Temps…
— Et à l'Université ? demanda ma belle Québécoise.
— On ne parle pas des écrivains vivants (surtout suisses), ça risquerait de réveiller les morts! Et les professeurs ne lisent jamais ce qui paraît…
— Mais alors qui vous lit?
— Mystère et boule de gomme! Si un lecteur, malgré le silence de la presse et la discrimination des grands libraires, parvient à se frayer un chemin jusqu'au livre de son cœur, il a bien du mérite… »
Je vous fais grâce de la suite de ma conversation avec la belle québécoise. Sachez seulement qu'elle se poursuivit ailleurs, dans un endroit plus tempéré, et qu'elle fut douce et agréable…
De retour en Suisse, j'ai envie de tenter la même expérience. Promenez-vous dans les rues de Genève, en ce jour d'Escalade, et demandez aux gens que vous croisez de vous citer les noms de — mettons — trois écrivains genevois d'aujourd'hui.
J'attends vos réponses avec impatience.