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zoé - Page 2

  • Les années berlinoises (Anne Brécart)

    images.jpegIl y a toujours, chez Anne Brécart, ce silence et ces glaces qui habitent ses personnages de femmes, ces atmosphères de brume, ces gestes à peine esquissés qui restent comme suspendus dans le vide. On retrouve ces couleurs et ce charme dans son dernier roman, La Femme provisoire*, son livre sans doute le plus abouti.

    Tout se passe à Berlin, dans les années 70 (ou 80 ?), dans cette ville à la fois ouverte à tous les vents et encerclée par un haut mur de briques. C’est le refuge, à cette époque, de beaucoup d’étudiants étrangers (turcs, mais aussi anglais, espagnols, suisses). Certains sont vraiment venus suivre les cours de l’Université. Les autres vivent de petits boulots. Mais tous sont là provisoirement. De passage. En transit. Comme l’héroïne du roman d’Anne Brécart qui vient rencontrer, à Berlin, une écrivaine allemande qu’elle essaie de traduire. C’est une femme blessée qui vient de subir un avortement et porte encore en elle le fantôme de l’enfant à naître. C’est aussi une femme libre qui vit seule, parmi ses livres, et qui rencontrera un bel amant de passage. Elle saura peu de choses de lui. Mais partagera un grand appartement avec cet homme qui vient d’avoir un enfant, et dont la femme a disparu.

    images-1.jpegLa narratrice se glissera dans la peau d’une mère absente. Elle s’occupera de cet enfant, comme s’il était le sien, et elle jouera parfaitement (un peu inconsciemment) le rôle de la mère provisoire. Avant de rendre cet enfant — comme dans le fameux film de Wim Wenders, Paris, Texas — à sa mère biologique. C’est cet enfant, vingt ans plus tard, qui viendra lui rendre visite, un beau matin, sans crier gare, et enclenchera le mécanisme du souvenir et l’envie d’écrire son histoire.

    Il y a beaucoup de finesse, et de mélancolie, dans ce livre doux-amer qui retrace le destin d’une femme libre, ouverte aux rencontres, qui se retrouve comme obligée (par amour, par humanité) de jouer des rôles qu’elle n’a pas choisis. Elle est une mère provisoire, comme une maîtresse provisoire, une étrangère de passage. Elle n’arrive pas à se fixer. Pourtant, comme on écrit sa vie, elle laisse des traces derrière elle, images, amours, sensations, regrets, qui un jour la rattrapent. Cela donne un beau livre qui accompagne longtemps le lecteur.

    * Anne Brécart, La Femme provisoire, roman, Zoé, 2015.

  • Littérature du rien

    images-5.jpegSi la littérature française (et donc romande) va si mal, aujourd'hui, c'est la faute à Flaubert. Pourquoi ? C'est lui, dans une lettre à sa maîtresse Louise Collet, qui a eu l'idée curieuse d'écrire ceci : « Ce que j'aimerais faire, ce qui me semble beau, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l'air, un livre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière. »

    Ce mot d'esprit, que toute l'œuvre de Flaubert contredit, la modernité littéraire en a fait son mot d'ordre. On ne compte pas les héritiers, plus ou moins naturels, qui ont tenté d'écrire ce rien qui fascinait Flaubert. Sa postérité passe par Mallarmé, Gide, Beckett et, plus récemment, toute l'école du Nouveau Roman (Robbe-Grillet, Sarraute, Pinget, etc.) qui en a fait son maître.

    En Suisse romande aussi, cette école a fait florès, surtout à l'Université, qui cultive le rien — c'est-à-dire la mort. Elle compte des écrivains aussi divers qu'Yves Velan, Jean-Marc Lovay ou images-6.jpegAdrien Pasquali, entre autres. 

    images-1.jpegDernière en date de ces épigones, célébrée par l'Institution littéraire, qui aime la mort comme une seconde nature, la romancière valaisanne Noëlle Revaz. On se souvient de son premier roman, Rapport aux bêtes*, qui a retenu l'attention de Gallimard. Le second, Efina*, images-3.jpegétait peut-être plus personnel, et plus intéressant. Hélas, le troisième, L'Infini Livre**, publié par Zoé, ne tient pas ses promesses. Ce long roman absurde et filandreux raconte la vie on ne peut plus banale de deux romancières à succès qui passent leur temps à promouvoir leurs livres (qu'elles n'ont pas écrits, ni lus) sur les plateaux de télévision. Tout sonne creux et faux dans ce roman interminable. Tout tourne autour de rien. Aboli bibelot d'inanité sonore (Mallarmé). Les personnages n'ont aucun relief. L'intrigue est inexistante. Le sujet, mille fois traité depuis dix ans, et brillamment, par François Bégaudeau, Brett Easton Ellis ou David Lodge, n'arrive pas à « prendre » le lecteur par le rire ou les larmes. Cela donne un roman hors sol, comme les tomates genevoises, détaché de la réalité, et flottant, sans enjeu, ni véritable poids, dans un ciel parfaitement éthéré (et vide).

    images-4.jpegAvec L'Infini Livre, Noëlle Revaz semble toucher le fond. Espérons qu'avec le prochain livre elle rebondisse et retrouve le monde tel qu'il est, abandonnant les rivages où rien, jamais, ne se passe, n'arrive, ne touche le lecteur au cœur et aux tripes.

    * Noëlle Revaz, Rapport aux bêtes et Efina, Folio.

    ** Noëlle Revaz, L'Infini Livre, éditions Zoé, 2014.

  • Une indigente Histoire littéraire en Suisse romande

    images-2.jpegOn attendait beaucoup — peut-être trop — de cette nouvelle Histoire de la littérature en Suisse romande, promue dans les médias avec des roulements de tambour. L'ancienne mouture, parue entre 1996 et 1999, aux Éditions Payot (qui n'existent plus), sous la férule de Roger Francillon, autrefois professeur à l'Université de Zurich, était pleine de lacunes et d'un dilletantisme assez burlesque. La nouvelle édition, revue et abrégée, qui compte 1726 pages, paraît aujourd'hui aux Éditions Zoé.*

    Je ne dirai rien de la partie purement historique (critiquable, bien sûr, par ses partis-pris, mais intéressante), ni des chapitres sur la science-fiction, la BD ou le polar en Suisse romande (qui ne sont pas ma tasse de thé, je le regrette). images-1.jpegEn revanche, j'ai lu d'assez près la dernière partie de cette Histoire, consacrée aux écrivains contemporains. Le propos est général ; l'analyse, amorcée, ébauchée, mais rarement approfondie : on en reste à un travail d'arpenteur.

    Chaque écrivain, dans une manière de dictionnaire, a droit à son articulet. On est frappé. d'abord, par les absents : rien sur David Collin, Sergio Belluz, Serge Bimpage… Trois fois rien sur cet immense lecteur (et grand écrivain) qu'est Jean-Louis Kuffer… Est-ce bien sérieux ?

    Et les présents, alors ? La plupart sont réduits à quinze lignes paresseuses, affligeantes de pauvreté. Quant à ma propre notice, si j'ose ici mentionner mon modeste travail, elle est pompée sur Wikipédia, mais moins complète et mal écrite. On y trouve le résumé de de mes livres (j'en ai publié 25) et oublie le dernier en date, qui raconte la vie du plus grand éditeur de Suisse romande…

    Je pourrais multiplier les exemples, les oublis, les lacunes. Ils sont légion. Le tout témoigne d'un amateurisme un peu triste, qu'on trouvait déjà dans les volumes parus en 1999. Certes, la Suisse romande est un petit pays, les bonnes plumes y sont rares, les critiques compétents encore plus. Et les Facultés de Lettres, en matière de littérature contemporaine, brillent par leur absence. Mais, quand même, pourquoi tant de médiocrité ? Pourquoi un tel manque de travail dans un pays réputé pour son sérieux ?

    Les écrivains romands méritent mieux que cela.

    * Histoire de la littérature en Suisse romande, Zoé, 2015.