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Passion noire - Page 2

  • L'écrivain dans sa grotte

    par Christian Lecomte (© Le Temps)

    file6ys61okb684999c67kc.jpgL’auteur genevois, Prix Interallié en 2010, a écrit tous ses livres dans son petit appartement du quartier des Grottes que lui louait Jeanne, une vieille femme à la belle âme.

    Un immeuble vétuste aux Grottes, rue du Fort-Barreau, derrière la gare Cornavin. Sur le palier, ça sent très fort la gomme: deux portes, à gauche et à droite, ouvrent sur un négoce de pneus. La cage d’escalier est un peu décatie mais riche en histoires. L’exilé russe Vladimir Ilitch Oulianov (dit Lénine) l’emprunta un soir de mars 1917 pour se rendre à une réunion secrète, un petit fonctionnaire aussi, qui devint plus tard maire de Genève. L’écrivain Jean-Michel Olivier a emménagé là il y a quarante ans, au troisième étage.

    Un appartement de lettré avec des livres partout, qui montent au plafond, et cette mezzanine, dans le salon, qui semble ne tenir que par le bon courage de quatre colonnes d’ouvrages. Dans cette bibliothèque, ce récit qu’a publié notre auteur en 2008: Notre Dame du Fort-Barreau (L’Age d’Homme). Délicieux et délicat opuscule (100 pages) dédié à Jeanne Stöckli-Besançon, qui fut la propriétaire du bâtiment avant qu’elle en fasse don en 1996 à la Ville à la condition qu’il soit dévolu aux personnes en détresse, mères célibataires, artistes, étudiants, marginaux.

    Vieille dame un peu excentrique, portant été comme hiver un vieux chandail troué, des bas de laine mités et des espadrilles. «Discrète, effacée, si généreuse. Son père, un bon pasteur, ouvrait ses portes aux juifs persécutés en France, elle à tous les déchus», rapporte Jean-Michel Olivier. Jeanne allait, toute petite, sur les toits «pour voir les étoiles» quand les autres gamins couraient dans les caves. Devenue âgée, elle continuait à voyager seule entre cheminées et antennes de télévision «avec une souplesse de salamandre».

    Un monde hétéroclite

    Un soir, elle a emmené là-haut son jeune locataire: voilà qui scelle une amitié. Jean-Michel Olivier a écrit tous ses livres rue du Fort-Barreau, dont L’Amour nègre (Prix Interallié 2010). On imagine l’immeuble fort inspirant. Jeanne y logeait un monde hétéroclite (un artisan chocolatier, un musicien de rue, un poète traducteur de livres de psychanalyse, des réfugiés, un céramiste, un couple d’anarchistes, des mendiants).

    Né à Nyon d’une mère institutrice et d’un père employé de commerce, Jean-Michel a grandi à mille lieues de ces Grottes genevoises de mauvaise réputation. En 1975, la Ville rêve d’y implanter une sorte de Manhattan avec tours en verre et bureaux en pagaille. Le quartier est aussitôt investi par une foule interlope, gauchistes, féministes, écologistes, squatters, musicos. La Ville recule. Pas de gratte-ciel mais les Schtroumpfs, habitations bariolées aux courbes bizarroïdes. C’est mieux. Les gens reprennent possession de leur quartier.

    De Derrida à Aragon

    Jean-Michel, lui, saisit plume et cahier dans son petit chez-lui. Il mène des études de lettres à l’Université de Genève et à l’Ecole nationale supérieure à Paris. Pas encore de TGV. Il y va avec sa vieille guimbarde qu’il gare dans le Quartier latin. Rencontre le philosophe Jacques Derrrida, dort chez lui, sur le divan où son épouse, qui est psychanalyste, reçoit ses patients névrosés. Déjeune chez Monsieur Bœuf avec Miró, Jean Genet, Louis Aragon. Jacques Derrida commande au Genevois des textes qui paraissent dans des revues confidentielles mais cela suffit au bonheur du jeune homme.

    Il a 25 ans quand Aragon le pousse à écrire des romans. Jean-Michel dit qu’il a pu le faire aussi grâce à Jeanne, «qui ne mettait jamais à la porte ses locataires qui payaient leur loyer quand ils le pouvaient». «Elle m’a donné un lieu pour écrire», dit-il. La maigre somme que demande chaque mois Jeanne lui permet de rester rue du Fort-Barreau. Il y vit une vie de funambule, enseigne au Collège de Saussure, roule deux fois par semaine jusqu’à la rue d’Ulm, écrit la nuit dans la chambre noire. C’est le titre de son premier roman. Il offre à Jeanne un exemplaire parce qu’il y parle un peu d’elle. Elle est stupéfaite, le boude quelques jours «parce qu’elle est attachée aux vertus protestantes de la modestie». Mais quand Sarah, la première fille de Jean-Michel, vient au monde en 1990, Jeanne hurle: «Il faut une chambre d’enfant!» Peintre, vitrier et tapissier sont convoqués et la chambre noire se mue en nursery. Il écrit désormais sous la mezzanine, collé au piano noir. Prolifique (un livre par an), Jean-Michel se souvient d'avoir frôlé un gros accident de santé à cause de la fatigue. Ecrire la nuit et faire face le jour à cinq classes de collégiens, ça lamine.

    Dans l’appartement de Jeanne

    Il est désormais jeune retraité, vient de publier Passion noire, jette les premiers mots d’une nouvelle histoire. Et Jeanne? Décédée en mars 1996, à 88 ans, «dans la solitude et le silence». Jean-Michel Olivier a été autorisé à pénétrer dans son appartement, un capharnaüm. Dans sa chambre, il découvre dans une chemise en plastique des coupures de journaux, des critiques de ses ouvrages. Puis des esquisses de début de livre qu’il a pourtant jetées dans les poubelles de l’immeuble, de vieilles notes aussi, des pages raturées. Une découverte terriblement émouvante qui ferait une belle fin de roman.


    Profil

    1952 Naissance à Nyon.

    1978 Rencontre Derrida et Aragon.

    1990 Naissance de sa fille Sarah.

    2003 Naissance de sa seconde fille Norah.

    2010 Prix Interallié pour L’Amour nègre.

    2014 Notre Dame du Fort-Barreau paraît en Poche suisse (L’Age d’Homme).

    2014 : L'Ami barbare (de Fallois-l'Âge d'Homme)

    2017 : Passion noire (L'Âge d'Homme).

    2018 : The Secret Child (L'Enfant secret) et Black Love (L'Amour nègre) paraissent en traduction américaine.

    Photo : © Eddy Mottaz (Ringier)

  • Jean-Michel Olivier: un écrivain " mauvais genre " (Les Beaux Parleurs)

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    Les "beaux parleurs" de ce dimanche s’appellent Gabriel Bender, Ivan Radja et Nicolas Tavaglione. Avec Michel Zendali, ils se disputeront sur quelques sujets d’actualité de ces dernières semaines qui ont fait parler ici et ailleurs. Ils sont accompagnés de l’humoriste (mais pas que) Thomas Wiesel. A la veille de la proclamation des prix littéraires, l'équipe accueille l’écrivain Jean-Michel Olivier qui a reçu en 2010 le prix Interallié et qui fait paraître ces jours "Passion noire" à L’Age d’Homme. En l’absence de Claude-Inga Barbey, c’est Alexandre Kominek qui s’essaiera au délicat exercice du portrait "inofficiel" de l’invité.

    Voici le lien de l'émission. 

    http://www.rts.ch/play/radio/les-beaux-parleurs/audio/linterview-de-jean-michel-olivier?id=9019325&station=a9e7621504c6959e35c3ecbe7f6bed0446cdf8da

  • Les Jeunes filles du lac Léman

    par Marie Céhère

    Passion noire jpeg.jpgSi j’avais été un écrivain, j’aurais aimé avoir les mêmes lectrices que Jean-Michel Olivier. À dire vrai, je rêve vainement d’être unécrivain depuis que j’ai lu les trois tomes des Jeunes Filles de Montherlant.

    Jean-Michel Olivier et moi avons au moins un point commun.

    Son dernier roman s’appelle Passion Noire*. Quel fléau que les femmes ! Surtout celles qui vous écrivent sur internet et dont on est forcé de chercher la photo sur Google avant de répondre. L’épistolaire n’est plus ce qu’il était. Simon Malet, double de son état, est donc confronté à la cohorte des prétendantes hautes en couleur, et les administre du haut de son cynisme.

    Que l’on ne s’y trompe pas. Il n’y a plus, aujourd’hui, la même facilité qu’hier à assumer ce point de vue. « Dans les replis de graisse, au bas du ventre pâle et glabre, ce bout de caoutchouc, qui rétrécit ou qui s’allonge, comme le nez de Pinocchio, selon le désir du moment : tel est, chez l’homme, l’organe de l’émotion. »

    C’est dire à quel point, s’agissant de tisser la toile d’araignée toxique de la littérature – donc des émotions – les femmes sont autrement mieux armées.

    Nancy Bloom, spécialiste de la question, mais aussi la parisienne (libertine, sinon quoi ?) Diane de Jong et pire encore, la mystique Marie-Ange, font sentir au narrateur écrivain comme la littérature est une comédie vaste et vaine, à double, triple, infinie entente, comme le conformisme est une tyrannie qui aura sa peau, et surtout, comme il est et n’est qu’un homme.

    « Le sexe est la ligne de partage, en moi, de toutes les divisions. La marque de naissance que je suis sexionné. Coupé en deux. »

    Exploiter ces coupures, éluder les passages obligés, se sentir fragile, parfois, non comme une femmelette, mais comme un écrivain, c’est le pari de Passion Noire. Une idée de la littérature virile reprend ses droits.

    * Jean-Michel Olivier, Passion noire, roman, l'Âge d'Homme, 2017.