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la vie mécène - Page 2

  • L'affaire Stern et la Vie mécène

    images-1.jpegDans quelques jours va s'ouvrir, à Genève, l'un des procès les plus attendus du siècle (qui n'a que 9 ans!). Il concerne ce qu'on nomme habituellement « l'affaire Stern » (voir la chronologie ici), du nom de l'homme d'affaires français, banquier, mécène, collectionneur d'armes et d'œuvres d'art Edouard Stern,  38ème fortune de France, assassiné dans les circonstances que l'on sait par sa maîtresse Cécile B. au soir du 28 février 2005. Cette affaire, comme on sait, a défrayé la chronique judiciaire et mondaine, Edouard Stern appartenant au monde très select des VIP. Elle a aussi inspiré plusieurs livres, dont l'excellent Mort d'un banquier, de Valérie Duby et Alain Jourdan*, première enquête sérieuse sur cette affaire. images.jpegElle a encore fourni la matière de plusieurs romans, dont Les Orphelins de Hadrien Laroche**, Comme une sterne en plein vol de Julien Hommage, et La Vie mécène, de votre serviteur***. Sur ce roman, je me permets de céder la plume à Daniel Fattore, écrivain et traducteur suisse né en 1974, qui l'a évoqué sur son blog.

    « C'est très suisse, ça parle de fric...

    ... telle est la réflexion que je me suis faite au fil de ma lecture de La Vie mécène. Un argent qui peut tout (acheter une équipe de football, monter une collection d'art, combler des amis ou une épouse, garantir le silence d'un journaliste,...), ou presque. La lecture de ce roman, campé dans une Genève connue pour être la capitale mondiale de la banque privée, s'avère riche en excellents moments, parfois même jubilatoires, autour de la destinée d'Elias S., un personnage trouble, mécène généreux aux yeux du grand public et d'une certaine presse peu curieuse, personnage aux limites du truandage pour le lecteur invité, rare privilège qu'il convient d'apprécier à sa juste valeur, à visiter les coulisses de l'action.

    Pour son propos, l'auteur choisit le récit à plusieurs voix, qui permet, et c'est une richesse, d'offrir des points de vue divers sur un seul événement. Le lecteur découvre donc les témoignages successifs d'une belle brochette de personnages, tous assoiffés d'une vie meilleure, plus argentée, plus riche en reconnaissance: une escort girl, un artiste, un journaliste, un artiste-peintre, l'épouse d'Elias - pour ne citer qu'eux. Voix est donc donnée à l'entourage le plus significatif d'Elias S., mais pas à celui-ci même. L'effet est saisissant: on le découvre en creux à travers ceux qui le côtoient peu ou prou, mais l'absence de son témoignage fait de lui un personnage plus désincarné, plus idéalisé que les autres. Un dieu nourricier? Ou, à défaut, un saint? C'est une piste que l'auteur n'exclut pas; il la suggère même à travers la parole de César, coach brésilien du FC Servette:  « Monsieur Elias, c'était un peu comme Dieu: il réglait les factures, mais on ne le voyait pas souvent. » dit-il (p. 244). Cela, sans oublier le nom éminemment biblique du personnage, qui met le lecteur sur la piste.

    VMjp.jpgElias S. constitue également le point de liaison entre la brochette de personnages appelés à témoigner, pas forcément liés entre eux. C'est au fielleux journaliste Etienne Jargonnant, observateur mais non acteur comme tous les journalistes, qu'il revient d'ouvrir et de conclure le récit. L'incipit évoque avec raison la "pêche miraculeuse": d'emblée, on repêche le cadavre du "gros poisson" Elias S. dans le lac Léman, lesté de lingots d'or; mais avant cette pêche d'un anonyme, combien de personnes auront eu l'opportunité de faire une fortune très concrète à son contact? L'article de journal qui ouvre le récit est du reste révélateur de l'art du plumitif médiocre mais qui se la joue : des phrases clichés telles que "excusez du peu!", le côté ouvertement partisan de la chronique sportive, quelques helvétismes mal maîtrisés ("tabelle", p. 13). L'auteur donne ainsi l'impression qu'on lit la Tribune de Genève, journal quant même assez local en dépit d'une présentation ambitieuse (cahier international, cahier local, cahier sportif, cahier culturel, prolongement sur les blogs du site du journal, etc.)

    A cet aspect "gros poisson" fait écho le tout premier chapitre de l'ouvrage, où l'on voit de riches Français trembler le soir où François Mitterrand est élu à la présidence de la France et organiser, du coup, le transfert de leurs richesses les plus voyantes vers la Suisse. Tel est le premier travail, le péché originel d'Elias S., accompagné d'Alias, son homme de main.

    Le journaliste ? Parlons-en, après ce bref interlude. Observateur, Etienne Jargonnant (qui porte bien son patronyme) est placé dans la situation du plumitif appelé à écrire sur tout ce qui bouge, passant de la Red Holstein au Steinway sans aucune transition ni véritable compétence dans l'un ou l'autre de ces domaines. Ses articles sont régulièrement cités dans le roman, entachés de jugements de valeur gratuits. Mais s'il parle beaucoup (on dirait une de ces "gueules élastiques" qui sont le stéréotype du Genevois... mais Etienne Jargonnant est maori !), il peut peu. On ne le voit guère agir, et face aux charmes redoutables d'Elisa, c'est le seul personnage masculin qui restera insensible. Littéralement impuissant, aurait-on envie de dire. 

    Et, puisqu'on parle de noms proches, qu'en est-il d'Elsa ? Rebaptisée Elisa, elle devient l'escort girl vedette de l'agence que tient Elias S. Une escort girl qui se mue régulièrement en exécutrice des basses oeuvres du personnage clé de ce récit (meurtre du conseiller d'Etat Mouduneux, espionnage). Elle permet par ailleurs à l'auteur de développer, dans sa bouche, les thèses d'Esther Vilar, qui disent en substance que la femme tient l'homme par le désir, et que c'est là que réside son formidable pouvoir. Ayant compris cela, Elisa parvient systématiquement à ses fins, réalisant les mandats que lui confie Elias S., son patron. Et puisqu'on parle de relations hommes-femmes, on peut aussi se demander, en lisant ce roman, quelle est la véritable nature de la relation entre Deborah Saire, pianiste classique convertie au jazz sous l'impulsion d'Elias S., et Oscar Peterson.

    ... Oscar Peterson, une célébrité ! L'auteur s'amuse en effet au jeu du namedropping, à sa manière. Oscar Peterson est régulièrement rebaptisé "O. P.", comme s'il y avait une familiarité un peu déplacée. Mais l'agent artistique du pianiste de jazz canadien est également cité, et c'est grâce à de tels illustres anonymes que l'auteur parvient à faire la jointure entre le réel et la fiction. Le récit mentionne également un avocat, star du barreau, nommé Deume. Les plus attentifs auront fait le lien avec Adrien Deume, personnage de Belle du Seigneur d'Albert Cohen; mais la jointure entre les deux n'intervient qu'assez tard dans le récit, avec un certain esprit et beaucoup de pertinence, puisque la Société des Nations, employeur d'Adrien Deume, présenté comme le père de l'avocat (telle est l'astuce, et la passerelle d'une fiction à l'autre), a son siège à Genève. Quant au nom de "Mouduneux", certains penseront à Laurent Moutinot en le lisant ; mais l'auteur, subtil, se garde bien de tracer un lien indiscutable entre les deux personnages. Il brouille même les pistes: la bouffarde de Mouduneux fait plutôt penser à un autre politicien suisse en vue, vaudois celui-là: Josef Zisyadis... L'auteur, enfin, lâche encore quelques noms de marques luxueuses (Yves Saint-Laurent, Gucci, Silvio Berlusconi,...) afin d'asseoir l'odeur de fric qui doit émaner de Genève.

    Un stupéfiant roman urbain, donc, à l'écriture parfois ludique (enceinte du petit Jonah, fils d'Elias S., Isabelle se compare à une baleine...) et toujours dynamique. On a affaire ici à tout un récit qui dresse, en creux, le portrait d'un personnage riche à millions, qui en fait profiter les autres... sans jamais oublier que derrière toute fortune, se cache un crime, et que la ville de Calvin n'est pas d'office lavée de tout péché. Vie mécène, donc, vie qui donne, mais peut aussi vous enlever ce que vous avez de plus cher — avec la mort criminelle de son fils de cinq ans, Elias S., homme par ailleurs comblé, en fera lui-même la douloureuse expérience. »

    * Valérie Duby et Alain Jourdan, Mort d'un banquier : les dessous de l'affaire Stern, éditions Privé, 2006.

    ** Hadrien Laroche, Les Orphelins, Allia, 2008.

    *** Jean-Michel Olivier, La Vie mécène, Lausanne, L'Age d'Homme, 2007.

  • La critique empathique

    Quand on publie un livre, il y a toujours un risque qu'on le lise! C'est d'ailleurs ce qui peut lui arriver de mieux. Si certains critiques, par amertume ou désespoir, essaient d'abord d'éteindre le feu qui couve dans certains livres, d'autres, au contraire, prennent le risque de le lire, de s'en trouver choqués ou bouleversés, et peut-être brûlés par ce qu'ils lisent. C'est le cas de la critique empathique telle qu'elle est pratiquée, par exemple, par Jean-Louis Kuffer, Alain Bagnoud, Jean-François Fournier, Jacques Sterchi ou quelques autres, dont Contessa Pinon.
    Voici, par exemple, ce qu'écrit cette dernière : « La vie mécène se penche sur la vie tourbillonnante d'Elias S., amateur de foot et d'art, homme d'affaires extraordinairement fortuné dont le corps a été repêché par un marin d'eau douce au large de Promenthoux. Ainsi démarre ce roman palpitant, avec pour toile de fond Genève, qui prend le lecteur par le col sans plus le lâcher jusqu'à la dernière ligne.
    Inspiré par les romans et les polars américains, Jean-Michel Olivier, écrivain nyonnais, a eu l’idée de raconter la vie d’Elias S., sans qu’à aucun moment il ne prenne la parole. Ceux qui l’ont fréquenté - sa femme Isabelle, son ami Alias, Elisa, escort girl qui pratique le sadomasochisme, Déborah, une pianiste de jazz, Mathieu, un artiste et César, entraîneur de foot de Servette - évoquent ce personnage trouble qui a de l’éclat, de la lumière (…).
    Elias S. est un intuitif qui possède un côté requin. Comme mécène, il se laisse guider par son cœur, ses goûts, il donne sans savoir pourquoi. Il papillonne entre la culture et le foot, soutient le Grand-Théâtre, l’OSR et se paie le Servette comme d’autres une nouvelle cravate. Peu scrupuleux, il monte une agence d’escort girls pour faire chanter le Tout-Genève et conclure des marchés. C’est un déraciné qui a peut-être une île: sa femme et son enfant, Jonah. Ce puissant traverse la vie, comme si rien ne pouvait l’arrêter (…).
    Le roman, qui ne perd jamais son rythme, bascule et s’assombrit. « Le cœur du livre se déplace avec le sacrifice de l’enfant, reconnaît Jean-Michel Olivier. Cela répond à une angoisse très profonde des parents. La mère l’a déjà égaré à deux reprises. Ce sacrifice fait écho à une chanson de Leonard Cohen et à Abraham qui reçoit l’ordre divin de tuer son fils unique. Avec l’enlèvement de Jonah, Elias est pris dans un engrenage, il est impuissant. Il se rend compte que cet enfant, c’était sa vie. »
    Tout au long de son livre, Jean-Michel Olivier s'est amusé à faire des clins d'œil appuyés à des personnages existants, qu'ils soient journalistes, avocats médiatiques ou mécènes connus et reconnus. On sent l'auteur inspiré par des figures comme Marc Roger ou Edouard Stern (…). » Contessa Pinon, Le Quotidien de la Côte, 19 décembre 2007.
     

  • Quand Genève se la joue Sin City…

     

    La Vie mécèneAvec La vie mécène, Jean-Michel Olivier brosse un superbe portrait de mécène aventurier, généreux et canaille, sur fond de fresque genevoise drolatique où se bousculent affairistes, artistes, journalistes et politiciens plus ou moins identifiables. A ceux, écrivains ou cinéastes, qui prétendent que la réalité de notre pays n'est pas un bon sujet de roman, Jean-Michel Olivier inflige un joyeux démenti avec La vie mécène, régal d'humour et riche de pénétrantes observations sur notre société et ses drôles d'animaux, nos frères humains...
      Comment ce roman est-il né?
      Je rêvais depuis longtemps d'écrire un roman sur les rapports entre l'art et l'argent, en ayant à l'esprit quelques grandes figures de mécènes: les Médicis, Catherine II de Russie, les Guggenheim; et, plus près de nous, des gens comme Beyeler ou Metin Arditi. Pourquoi cette passion de l'art? Pourquoi ce don? Pour racheter quel crime? Je tournais autour de ce thème quand le personnage d'Elias s'est imposé à moi. Je ne voulais pas qu'il parle directement, mais qu'il soit raconté par tous ceux qui l'ont connu et dont il change la vie.
      Son ancrage à Genève est-il significatif?
      Comme chacun, j'entretiens des rapports ambigus avec la ville où je vis. J'adore Genève, je crois la connaître assez bien. A chaque livre, j'essaie de percer un peu plus ses secrets. Car c'est la ville la plus secrète du monde. Les grands politiques s'y rencontrent sans tapage. On y brasse des fortunes colossales. Les grands malades qui nous gouvernent viennent s'y faire soigner. Le secret — entre autres bancaire — est la clé de son lustre...
      Comment avez-vous dépassé la satire?
      Je voulais écrire un roman noir qui attaque les Grandes-Têtes-Molles de l'époque (avocats à succès, astrologues, hommes politiques, stars de la TV). Mais très vite les personnages se sont incarnés. Ils ont acquis leur propre autonomie. Et la satire, alors, est passée au second plan.
      La Vie mécène est-elle un roman à clefs?
      S'il y a des clefs dans mon livre, elles sont tellement évidentes qu'elles n'ouvrent rien! Ce sont plutôt des clins d'oeil à des figures publiques connues. Mais aucun des personnages principaux (sauf le peintre Mathieu Jour, qui ressemble à mon ami Marc Jurt, trop tôt décédé) n'a son modèle dans la vie réelle. Ce sont des extrapolations imaginaires.
      Qu'est-ce pour vous que le comique?
      Le rire est une dimension essentielle des livres que j'aime et que j'admire (de Voltaire à Milan Kundera, d'Albert Cohen à John Irving et tant d'autres). Il m'intéresse par la distance qu'il établit entre le texte et le lecteur. Grâce au comique, ce dernier acquiert une liberté souveraine.
      L'enfant du mécène, enlevé et sacrifié, marque un changement de ton dans le roman...
      En fait, il n'était pas dans le plan de départ! Il s'est imposé au fil des pages jusqu'à devenir le centre névralgique du roman. En lien avec la passion de son père pour le football (et celle de sa mère pour le shopping!), il a acquis peu à peu un visage. Ce qui lui arrive est la hantise de tous les parents.
      Votre roman aborde des thèmes liés à l'argent et à ses incidences sur l'art et le sport, phénomène très présent dans la société actuelle, mais rarement traité dans notre littérature...
      La littérature (romande en particulier) reste très pudibonde. On y parle peu d'argent. Or je voulais donner un ancrage très matériel à la vie de mes personnages. Car tout a un prix dans notre société. Un beau tableau comme le transfert d'un joueur de football. Une voiture de sport comme une heure passée avec une escort girl. Je voulais montrer le prix des choses, le prix de la passion. Le prix d'une vie d'enfant...
      Que signifie ce titre de La vie mécène?
      C'est à la fois la vie (et la mort) d'un mécène genevois et lavie elle-même qui reste un présent obscur, miraculeux. Tout le livre tourne autour de ça: le présent, l'offrande, le plaisir, le sacrifice...


    JEAN-LOUIS KUFFER,article et entretien parus dans 24Heures le 20 Novembre 2007.