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  • Destins de femmes (Valérie Gilliard)

    Unknown-1.jpegLauréate, en 2018, de la Bourse à l'écriture du Canton de Vaud, Valérie Gilliard nous propose aujourd'hui un recueil de nouvelles (ou de « feuilles volantes »), intitulé Vies limpides *. L'auteur n'est pas une inconnue, puisqu'elle a déjà publié, aux éditions de l'Aire, Le Canular divin (2009) et Le Canal (2014).

    Nos vies limpides rassemble des textes poétiques , inspirés souvent de l'observation quotidienne, de sensations du corps et de rencontres fugitives, et dix portraits de femmes en crise, dont le seul point commun est la lettre E qui commence leur prénom. Ainsi, Edwige revisite sa vie en nageant dans un couloir de la piscine, tandis qu'Elisabeth ressasse ses frustrations, Elsuinde creuse le temps qui passe, images.jpegEden scrute la brume atomique, Elke voit sa vie bouleversée par une rencontre imprévue, Eulalie se déconnecte du monde, Elfie nettoie les déchets abandonnés dans la ville, Emérence vit dans les regrets, Estée est en rupture et Edge hésite à larguer les amarres…

    Ces dix destins de femmes, nourris d'absence et de mal-être, sont esquissés avec délicatesse, d'une écriture à la fois poétique et précise. On sent le poids des convenances, pour chacune d'elles, les regrets, les frustrations et le désir d'une autre vie. « Et dans le flux qui sortait de ses yeux elle a découvert ce nouveau possible : aimer le temps passé dans l'indépendance de soi et pas seulement le temps passé ensemble à deux dont le rêve lui a coûté tellement cependant, lui a coûté sa part de vie. » 

    Chacun de ces portraits est une esquisse de libération (du piège social, d'un mauvais mariage). Mais une esquisse seulement. On aimerait aller plus loin dans l'analyse des personnages, les circonstances de leur crise ou de leur rupture, et savoir comment ces femmes vont s'en tirer (si elles s'en tirent). Malgré les qualités d'écriture de ce recueil de « feuilles volantes », le lecteur reste au peu sur sa faim, avec l'impression d'avoir feuilleté un album de photos, images fugaces et quelquefois d'une troublante précision, dont chacun est chassée par celle qui la suit. 

    * Valérie Gilliard, Nos vies limpides, éditions de l'Aire, 2018.

  • BHL et moi

    bhl-1978.jpgJ'ai rencontré BHL en 1979, dans des circonstances particulières et peu glorieuses — pour lui. Le ministre de l'éducation de Giscard, René Haby, avait rédigé une loi (la « Loi Haby ») qui, au prétexte d'ouvrir les lycées à tout le monde, voulait supprimer les cours de philosophie des classes terminales. Bien sûr, la révolte avait grondé. Sous l'impulsion de quelques-uns (Jacques Derrida, Vladimir Jankélévitch, François Chatelet, Paul Ricœur et d'autres), des Etats Généraux de la philosophie s'étaient tenus à la Sorbonne en juin 1979. Jeune étudiant (je n'avais pas 26 ans), j'y avais assisté et participé.

    Tout se passait bien jusqu'au moment où BHL, accompagné de ses groupies, avait fait irruption dans l'auditorium et avait essayé de s'emparer du micro. Des étudiants s'étaient interposés. Et j'ai vu Derrida — par ailleurs, ancien prof de philo de BHL — furieux, descendre de l'estrade et faire le coup de poing avec l'intrus. Derrida, ancien gardien de but de foot, n'eut aucune peine à renvoyer le philosophe à la chemise blanche dans les cordes !

    Et bientôt ce dernier sortit sous les huées de l'assemblée et on ne le revit plus…

    Pourtant, j'ai fait l'effort de lire ses livres. Certains, d'ailleurs, sont excellents (La Pureté dangereuse). Je me suis même fait violence pour aller le trouver chez lui, Boulevard Saint-Germain, dans son modeste appartement de 300m2. J'y ai été accueilli par deux serviteurs en turban (des Sikhs) et, tandis que j'attendais dans le salon, j'ai pu entendre les vocalises d'Arielle dans la pièce d'à côté. Je l'ai donc rencontré deux fois et interviewé pour le journal La Suisse et le mensuel SCENES Magazine. Il m'a fait l'impression d'un beau parleur, une sorte de moulin à vent capable d'aborder tous les sujets, sans en connaître aucun. Mais la rencontre fut tout à fait charmante. J'eus même droit à une tasse de thé et à quelques biscuits.

    Cela s'est gâté, quelques années plus tard, lors de la guerre dans les Balkans. BHL, ignorant tout de l'histoire de ces pays et de la géopolitique, prit d'emblée fait et cause pour les « sécessionnistes » (Croatie, Bosnie, etc.), gagnant à l'occasion son premier point Godwin en traitant les Serbes de nazis, et en comparant Milosevic à Hitler (depuis, il en a gagné des millions). Il oubliait (ou faisait semblait d'oublier) que les Serbes s'étaient battus férocement contre les Nazis, qu'ils avaient été arrêtés, torturés, exécutés, tandis que les fameux Oustachis croates étaient les fidèles séides des Allemands, dévolus aux basses œuvres. Mais passons. En envenimant un conflit complexe et très émotionnel, en diffusant de fausses informations, en pratiquant systématiquement le mensonge, BHL a fait beaucoup de mal aux uns comme aux autres.

    images-2.jpegJe ne m'étendrai pas sur son rôle catastrophique dans le conflit libyen : on le connaît et d'autres ont analysé son influence néfaste (voir dossier du Monde diplomatique ici). Mais BHL aime fréquenter les grands de ce monde. Il croit pouvoir les convaincre, les aider, changer le cours de l'histoire. Au mieux, on l'écoute avec un sourire en coin. Au pire, il engendre des crimes et des injustices sans fin. Demandez aux Libyens ce qu'ils pensent de BHL, cet homme qui a précipité leur pays dans le chaos, fait assassiner son président, et semé, pour longtemps, les graines de la discorde entre les tribus du désert.

    Là encore, on ne compte plus les mensonges, les images truquées, les discours délirants d'un homme qui s'est mis en tête de sauver le monde, alors qu'il cherche seulement à se sauver lui-même. 2746601178.jpgLe plus étrange, c'est qu'on le prenne encore au sérieux, tandis que chacun est au courant de son imposture (en 1978, Jacques Derrida, dont BHL a toujours cherché à se faire aimer, le traitait déjà d'imposteur). Mais s'il faut reconnaître une qualité à BHL, c'est bien la persévérance (certains diraient l'obstination).

    Je n'ai jamais revu BHL, sinon croisé furtivement en 2010, lors de la réception du Prix Interallié que j'ai reçu pour L'Amour nègre (de Fallois-l'Âge d'Homme). Il l'avait obtenu en 1988 pour Les derniers jours de Charles Baudelaire (Grasset), un très beau roman. Il connaissait tous les jurés ; je n'en connaissais aucun. On ne s'est pas parlé. 

    Depuis, je ne sais pas ce qu'il est devenu.

    Quelqu'un a-t-il de ses nouvelles ?!