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  • Pourquoi la TSR est-elle si nulle?


     
    C'est grâce à un entrefilet du Temps que j'ai appris cette nouvelle stupéfiante: au Canada, dans la belle province du Québec, les téléspectateurs préfèrent regarder les séries (ou fictions) canadiennes plutôt que les séries américaines. Et ce à près de 70%! Pourquoi donc? D'abord parce qu'ils s'y retrouvent, qu'ils ont plaisir à entendre leur langue, à partager les soucis et les joies de leurs voisins-voisines. Ensuite, parce que ces séries pétillent d'imagination, d'humour, de personnages hauts en couleur.
    Et nous, alors, me direz-vous, n'avons-nous pas sur la TSR La Minute-kiosque ? Et Tête en l'air?
    Je ne sais pas si vous avez déjà regardé cette Minute-kiosque jusqu'au bout? C'est-à-dire 60 secondes? Moi pas. L'envie de zapper est venue tout de suite, puis celle de ne plus payer ma concession, puis celle de mettre le feu à ma télé. Quant à Tête en l'air, qui donne une idée de ce que peut être la télévision quand elle n'a rien à dire, par pudeur je n'en dirai rien.
    Inutile d'insister: en matière de fiction ou de divertissement, la TV romande n'est pas franchement mauvaise : elle est nulle! Aucune série digne de ce nom. Aucune fiction qui ose aborder les questions qui nous occupent. Aucun téléfilm ambitieux ou personnel (et pourtant, les réalisateurs de talent ne manquent pas: Jacob Berger, Lionel Baier, Jean-Stéphane Bron, etc.). On dirait que du côté de la fiction, la Grande Tour est vide…
    Victime, comme vous, chers lecteurs, de la propagande télévisuelle ânonée par TV Guide, TéléTop et autres brosses à reluire, je me suis laissé embarquer, l'autre soir, dans une série américaine au titre prometteur : Californication. D'abord parce qu'il y avait David Duchovny (le Mulder de X-Files), un comédien que j'aime beaucoup (diplômé de littérature à Yale tout de même!). Et ensuite parce que le héros est un écrivain, et rien que cela est stupéfiant!
    Eh bien, courage, mes amis, éteignons notre poste! Rarement série américaine aura été aussi bâclée, mal filmée, mal jouée, mal scénarisée. Rien, dans cette histoire pleine de clichés, ne vaut le détour. Chaque épisode adopte le même schéma: désœuvrement de l'écrivain en mal d'inspiration, alcool ou autre substance euphorisante, partie de jambes en l'air avec femmes jeunes et topless, retour à la déprime. Je peux témoigner, en mon âme et conscience, que la vie d'écrivain, même en Californie, ne ressemble pas souvent à cela!
    Bref, nous sommes à des lieues de ces chefs-d'œuvre absolus que sont Nip Tuck (qui va reprendre en avril) et surtout Six Feet Under.
    Vous voyez : même quand il s'agit de choisir une série américaine, avec un comédien doué, notre télévision se met le doigt dans l'œil!
     

    Lien permanent Catégories : badinage
  • Les mythes ont la peau dure


     balthus

    On le sait depuis toujours : la meilleure façon, pour un artiste, de passer à la postérité, c’est de créer — si possible de son vivant — son propre mythe : regardez Duras, Bouvier, Chessex, Balthus…
    Rendons grâce à Balthus : par une fine stratégie, à la fois de retrait et d’exhibition, une constante réécriture de son propre travail, il aura berné tout le monde ! À tous ceux qui l’accusent de peindre des jeunes filles dévêtues aux poses alanguies, il répond qu’il ne faut voir dans ses toiles que des anges et des apparitions. Et que sa peinture est uniquement d’essence religieuse ! Mais faut-il le croire ? Le journaliste et écrivain Raphaël Aubert se penche sur la question dans un livre excellent*.
    Qu’en est-il de ce peintre à la fois provocateur et archiclassique, dans lequel certains n’hésitent pas à reconnaître le dernier représentant de la tradition figurative occidentale ? Pas à pas, Raphaël Aubert déplie et interroge le mythe Balthus en racontant sa vie, tout d’abord, ses influences (le poète Rilke qui fut l’amant de sa mère, et une sorte de père idéal ; Artaud, Malraux) et déjà cette propension non seulement au mythe, mais aussi à la mystification (de même qu’il s’inventa une blessure l’obligeant à quitter le front de la guerre en 1939, le peintre de Rossinière s’affubla de particules ronflantes, comme le fameux titre de Prince Klossowki-Rola, une pure affabulation !).
    En relisant les grands tableaux de Balthus, en particulier La Leçon de guitare (1934), Aubert rend hommage au peintre, qui veut « déclamer au grand jour, avec sincérité et émotion, tout le tragique palpitant d’un drame de la chair, proclamer à grands cris les lois inébranlables de l’instinct ». Ces déclarations, particulièrement éclairantes, Balthus les fait en 1933, alors qu’il n’est pas encore connu, et qu’il est insoucieux de son propre mythe. Revisitant ses grandes toiles, le même Balthus déclarera à la fin de sa vie : « Les gens pensent (de ma peinture) que c’est de l’érotisme. C’est parfaitement absurde. Ma peinture est essentielle et profondément religieuse. »
    On voit le grand écart entre ces deux déclarations, et comment Balthus, effaçant le scandale de ses première toiles, tente à présent de bâtir le mythe d’un peintre classique, pour qui « peindre est une prière », et qui se voit lui-même quelque part entre Vermeer et Piero della Francesca. Raphaël Aubert décrypte admirablement ce double langage, qui pourrait rendre Balthus insupportable, s’il n’était pas, d’évidence, un grand peintre.
    Pourquoi ce désir de réappropriation ? demande Aubert. Par simple souci de conformisme ? Pour préserver le mystère d’une œuvre qui pourrait apparaître comme triviale ? Ou parce que  « son contenu — biographique, érotique, mais aussi esthétique — avance Aubert, est à proprement parler inavouable » ? Et le fait est qu’aujourd’hui encore les tableaux de Balthus, dans leur classicisme outré, ont comme un parfum de scandale…

    * Le Paradoxe Balthus, par Raphaël Aubert, La Différence, 2005.
     
     

     

  • La critique empathique

    Quand on publie un livre, il y a toujours un risque qu'on le lise! C'est d'ailleurs ce qui peut lui arriver de mieux. Si certains critiques, par amertume ou désespoir, essaient d'abord d'éteindre le feu qui couve dans certains livres, d'autres, au contraire, prennent le risque de le lire, de s'en trouver choqués ou bouleversés, et peut-être brûlés par ce qu'ils lisent. C'est le cas de la critique empathique telle qu'elle est pratiquée, par exemple, par Jean-Louis Kuffer, Alain Bagnoud, Jean-François Fournier, Jacques Sterchi ou quelques autres, dont Contessa Pinon.
    Voici, par exemple, ce qu'écrit cette dernière : « La vie mécène se penche sur la vie tourbillonnante d'Elias S., amateur de foot et d'art, homme d'affaires extraordinairement fortuné dont le corps a été repêché par un marin d'eau douce au large de Promenthoux. Ainsi démarre ce roman palpitant, avec pour toile de fond Genève, qui prend le lecteur par le col sans plus le lâcher jusqu'à la dernière ligne.
    Inspiré par les romans et les polars américains, Jean-Michel Olivier, écrivain nyonnais, a eu l’idée de raconter la vie d’Elias S., sans qu’à aucun moment il ne prenne la parole. Ceux qui l’ont fréquenté - sa femme Isabelle, son ami Alias, Elisa, escort girl qui pratique le sadomasochisme, Déborah, une pianiste de jazz, Mathieu, un artiste et César, entraîneur de foot de Servette - évoquent ce personnage trouble qui a de l’éclat, de la lumière (…).
    Elias S. est un intuitif qui possède un côté requin. Comme mécène, il se laisse guider par son cœur, ses goûts, il donne sans savoir pourquoi. Il papillonne entre la culture et le foot, soutient le Grand-Théâtre, l’OSR et se paie le Servette comme d’autres une nouvelle cravate. Peu scrupuleux, il monte une agence d’escort girls pour faire chanter le Tout-Genève et conclure des marchés. C’est un déraciné qui a peut-être une île: sa femme et son enfant, Jonah. Ce puissant traverse la vie, comme si rien ne pouvait l’arrêter (…).
    Le roman, qui ne perd jamais son rythme, bascule et s’assombrit. « Le cœur du livre se déplace avec le sacrifice de l’enfant, reconnaît Jean-Michel Olivier. Cela répond à une angoisse très profonde des parents. La mère l’a déjà égaré à deux reprises. Ce sacrifice fait écho à une chanson de Leonard Cohen et à Abraham qui reçoit l’ordre divin de tuer son fils unique. Avec l’enlèvement de Jonah, Elias est pris dans un engrenage, il est impuissant. Il se rend compte que cet enfant, c’était sa vie. »
    Tout au long de son livre, Jean-Michel Olivier s'est amusé à faire des clins d'œil appuyés à des personnages existants, qu'ils soient journalistes, avocats médiatiques ou mécènes connus et reconnus. On sent l'auteur inspiré par des figures comme Marc Roger ou Edouard Stern (…). » Contessa Pinon, Le Quotidien de la Côte, 19 décembre 2007.