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  • Ma fille a fait sa batmitsva

    Je ne sais pas comment ça s'est passé pour vous, mais moi, quand ma fille m'a annoncé qu'elle voulait suivre des cours d'histoire religieuse, je me suis posé des questions.

    C'est vrai : pourquoi des cours de religion?

    Et surtout avec qui ?

    Quand elle m'a dit qu'elle suivrait les cours du rabbin Garaï avec son grand ami Samuel, cela ne m'a rassuré qu'à moitié…

    Mais, au fil des semaines et des mois, je me suis aperçu que ces cours la passionnaient. Au point d'apprendre à psalmodier pendant des heures des textes imprononçables dans une langue sémitique qui — allez savoir pourquoi ? — fait l'économie de toute voyelle.

    Bref, comme toujours, j'ai dit oui. En me demandant, pourtant, où tout cela allait me mener. Et surtout combien tout cela allait me coûter…

    Je ne sais pas comment c'est pour vous, mais pour moi ce n'est pas tous les jours que ma fille m'annonce avec un regard de défi qu'elle veut faire sa batmitsva!

    Qu'est-ce que c'est que ça, une batmitsva ?

    Un opéra-rock? Une pâtisserie orientale ? Une espèce de surprise-partie? Un vaccin contre le tétanos ou la scarlatine?

    Quelle mouche l'a donc piquée?

    « Mais non papa! Assieds-toi, je vais t'expliquer… »

    Je me suis donc assis sur une chaise et ma fille m'a expliqué…

    « C'est un rite de passage, papa! Cela marque le fait que je suis une adulte maintenant. »

    Aïe! Vous imaginez que cela ne m'a pas rassuré…

    Que la petite fille que vous avez nourrie au lait vitaminé six fois par jour et aux œufs Kinder pendant des années vous dise un jour : « Je suis une adulte maintenant. » — cela vous fait comme une boule dans la gorge. Car, quoi qu'on dise, et bien qu'on s'y prépare très longtemps à l'avance, on ne s'attend jamais à ce genre de déclaration.

    Pas si tôt. Pas maintenant.

    Alors j'ai acquiescé encore une fois.

    Reste une question qui n'est pas simple, vous me l'accorderez : la question de Dieu.

    Je vous épargnerai l'Ancien et le Nouveau Testament, la Torah, le Coran et l'épopée de Gilgamesh — non que je n'aie rien à dire sur le sujet (vous imaginez bien), mais nous manquons de temps, et il y a encore vingt discours après le mien. Je passerai également comme chat sur braise sur l'épopée tragique du Ramayana et les 26 volumes de Mahabarata (intéressants, surtout vers la fin). Mais c'est quand même une question importante que la question de Dieu. Une question qui a rempli des millions de volumes et qui — entre parenthèses — n'a jamais trouvé de réponse…

    Bref, tandis que nous étions vautrés, ma fille et moi, sur le canapé du salon en train de regarder à la télévision un épisode de la série Nip Tuck, pendant que le beau Docteur Troy s'apprêtait à donner une leçon de physique expérimentale à l'une des ses patientes, une nouvelle question — une nouvelle épouvante —m'a torturé l'esprit.

    Je vous la livre comme elle m'est venue : ma fille est-elle en train de devenir mystique?

    Qu'elle ait envie de virer sa cutie, c'est toujours douloureux pour un père, mais enfin il n'y a rien de plus normal. Mais qu'elle devienne mystique, pratiquement du jour au lendemain, sans même l'intervention du Saint Esprit, ça vous en bouche un coin.

    C'est vrai quoi : pourquoi, pendant des années, l'avoir élevée aux grands philosophes matérialistes? Pourquoi lui avoir fait lire toute l'œuvre de Voltaire et Brazelton à 5 ans? Pourquoi lui avoir lu les pensées de Cioran tous les soirs avant de s'endormir? Pourquoi l'avoir baignée toute petite dans Nietzsche, Schopenhauer, Foucault, Freud?

    Vous voyez le résultat!

    Un jour, heureusement, une étincelle m'a traversé l'esprit.

    Qu'est-ce que le mysticisme ? me suis-je demandé.

    J'ai ouvert ma Bible à moi — c'est-à-dire les œuvres complètes de Marx et Engels, Deleuze, Derrida. Et j'ai trouvé la réponse…

    Oui, qu'est-ce vraiment que le mysticisme?

    N'est-ce pas, au fond, l'idéalisation du Père?

    Et le père, dans toute cette histoire, est-ce que ça ne serait pas moi?

    Je connais d'autres pères, dans les mêmes circonstances, qui auraient été rassurés d'arriver à pareille conclusion.

    Moi pas.

    Parce qu'aujourd'hui je me demande ce que ma fille — à peine 17 ans, même pas majeure, bien que batmitsvée — va encore m'annoncer.

    Je suis prêt à tout entendre et à tout endurer.

    Il y a longtemps que j'ai pris le parti de la suivre, d'acquiescer, d'apprendre d'elle ce que je n'aurais jamais appris si elle n'avait pas été là.

    Car c'est une erreur trop commune de croire que ce sont les parents qui tracent la voie à leurs enfants. C'est une erreur de croire que ce sont eux, les parents, qui disent à leurs enfants ce qu'ils doivent faire ou penser, s'ils doivent voter rose, rouge, vert ou brun, s'ils doivent pratiquer la natation ou le lancer de nains.

    En vérité, c'est tout le contraire qui se produit : ce sont nos enfants qui nous guident, qui nous gardent, qui nous bousculent, qui ouvrent nos esprits à l'air du large, qui agrandissent nos émotions, qui nous emmènent parfois dans des endroits inaccessibles où nous ne serions jamais allés sans eux.

    Voilà pourquoi, au fond, je suis content et fier d'avoir une fille batmitsvée.

    Alors, comme on dit chez nous, mazeltof!

    Bon vent et bonne chance à tous les deux!

    Lien permanent Catégories : badinage