Le 4 novembre, dans toutes les bonnes librairies, un conte noir qui débute à Genève et emmène le lecteur au Canada, en Ecosse, puis dans les Franches-Montagnes.
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Le 4 novembre, dans toutes les bonnes librairies, un conte noir qui débute à Genève et emmène le lecteur au Canada, en Ecosse, puis dans les Franches-Montagnes.
Il y a des pépites dans le dernier recueil de nouvelles de Bernadette Richard (Prix Rod 2018), intitulé L'Horizon et après*. Vingt-cinq textes écrits de 1992 à aujourd'hui, certains publiés dans des revues, d'autres parfaitement inédits. On y retrouve les thèmes chers à cette graphomane chaux-de-fonnière : le désir d'ailleurs, la solitude, les destins fracassés, les amours impossibles, la séduction, la fuite. La langue est belle, musicale, singulière.
Le livre s'ouvre sur une réflexion saisissante sur la ligne, celle du destin comme des convenances, celle du désir comme de l'imaginaire. Une nouvelle qui date de 1993 (publiée au Canada) et qui n'a pas pris une ride. La narratrice, aimantée par le désir d'ailleurs, cherche à atteindre l'horizon — encore une ligne imaginaire. Plus loin, c'est le « beau mec » en voiture de sport, fasciné par une femme fatale, qui achèvera sa course dans un précipice, victime de ses fantasmes. Plus loin encore, une femme marche en plein désert, en plein soleil, à la recherche d'un mirage qui pourrait être elle-même.
« Je ne suis plus que carcasse, souffle-t-elle, privée de corps, de chair frémissante, bientôt squelette ambulant. Et je ne me suis aperçue de rien. »
Le ton général est plutôt sombre, un peu désabusé, toujours empreint d'une ironie mordante. Les hommes n'en sortent pas indemnes, ni les femmes, d'ailleurs. Seuls les chats, dans cette satire sociale très réussie, tirent élégamment leur épingle du jeu, toisant l'agitation humaine avec philosophie. La nature est également célébrée dans plusieurs nouvelles — peut-être est-ce elle qui garde l'horizon ?
Une mention particulière pour les dessins qui accompagnent chacune des nouvelles de ce recueil, nouvelles agrémentées d'une splendide lettrine. Ils sont l'œuvre de Catherine Aeschlimann, une vieille complice de Bernadette Richard, qui donne chair et vie aux textes eux-mêmes et les prolongent plutôt qu'ils ne les illustrent. Une belle complicité artistique !
* Bernadette Richard, L'Horizon et après, nouvelles, Torticolis et Frères, La Chaux-de-Fonds, 2020.
Le COVID-19 aura fait beaucoup de victimes, dans les EMS bien sûr, mais aussi dans les salles de cinéma et de théâtre, les festivals et les concerts, le monde de l'édition. Les livres parus fin février, puis en mars-avril ont été fauchés net par le virus. Heureusement, ils ont une seconde vie, en librairie et en ligne, et on peut toujours se les procurer.
C'est le cas d'un magnifique petit livre, Éloge érotique de Richard M.*, écrit par Mariia Rybalchenko, une jeune étudiante ukrainienne venue suivre à Paris des cours de philosophie hébraïque. Même si le titre, un peu accrocheur, ne rend pas justice au roman lui-même, ce livre est une des très bonnes surprises de cette année.
C'est une histoire d'amour, impossible bien sûr, entre deux solitaires, deux exilés, Mariia et Richard, 22 et 66 ans, teintée de mélancolie et de désir. Un désir fou qui donne au livre un ton charnel et désespéré. Ils se rencontrent chez une amie, puis Mariia prend les devants. Et très vite ils entrent dans une intimité étrange, de chair et de lectures, de promenades et de longues discussions. La rencontre entre deux solitudes.
Comme on sait, Richard M. — autrement dit Richard Millet — est aujourd'hui l'écrivain maudit par excellence. Auteur de nombreux livres remarquables, comme Ma vie parmi les ombres** ou Le goût des femmes laides***, il a été mis au ban de la bonne société littéraire germanopratine en publiant, en 2012, Langue fantôme, suivi de Éloge littéraire d'Anders Breivik****. Tout le monde bien-pensant lui tombe dessus, le pauvre J.M.G. Le Clézio comme la terrible Annie Ernaux, qui signent à cette époque une assez infâme lettre ouverte. Résultat de la curée : Richard Millet est chassé de Gallimard où il était directeur littéraire. Ce qui ne l'empêche pas de continuer à publier, surtout chez Léo Scheer et Pierre-Guillaume de Roux, son extraordinaire Journal, ainsi que d'autres textes importants. Sans conteste, Millet figure parmi les écrivains français les plus importants d'aujourd'hui.
Tout cela, Mariia ne le sait pas. Elle n'a encore rien lu de Richard M. Mais les livres sont des passerelles, et parfois aussi des écueils. L'amour (le désir, la solitude, le silence) tisse des liens qu'elle restitue dans une langue (le livre est écrit en français!) à la fois précise et sensuelle, d'une très grande musicalité. C'est la chronique d'un amour impossible (Richard s'extasie sur la jeunesse de Mariia et se lamente sur sa vieillesse), qui passe par les corps et les mots, sans jamais être scabreuse, ni tape-à-l'œil. Tout sonne juste dans ce roman qui entraîne le lecteur de la Mer Noire à Paris, de la Corrèze à Kiev, dans un chassé-croisé charnel et lyrique (pour ne pas dire mystique).
Une très belle surprise de lecture !
* Mariia Rybalchenko, Éloge érotique de Richard M., roman, éditions Püierre-Guillaume de Roux, 2020.
** Richard Millet, Ma vie parmi les ombres, roman, Folio.
*** Richard Millet, Le Goût des femmes laides, roman, Folio.
**** Richard Millet, Langue fantôme, essai, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2012).