C’est un récit initiatique que nous livre Patrice Duret avec Le Chevreuil*. On peut y lire la suite de Décisif, un premier roman, paru en 1997, qui racontait une brutale rupture. Le Chevreuil, à l’instar de L’Envol du marcheur, nous conduit sur les petits chemins de la France profonde. Nul défi sportif, pourtant, chez Duret, mais le besoin vital de « prendre de la distance, quitter la vielle, écouter la campagne, tourner en rond, s’étendre, dormir, écraser l’herbe de tout son poids hébété de citadin. »
L’appel de la terre, donc, le retour aux sources, le refus, également, des urbanités hypocrites. Le marcheur qui chemine sac au dos ne sait pas où il va. Il marche à l’aventure et se laisse appeler par une rivière, un champ de blé, une clairière sous les arbres. Le temps et l’espace se dilatent. Le corps, grâce à la marche, est content, et l’âme, légère. À chaque pas, il s’approche un peu plus de ce « bleu des pensées » qu’il recherche depuis si longtemps, « ces couleurs du dehors qui tiennent le regard en état d’alerte ». Marcher, s’ouvrir, mais aussi se perdre : tel est le sens de ce parcours initiatique qui croise quelquefois des châteaux et des fées (car le marcheur est enchanté). Apprentissage de la lenteur indispensable aux véritables révélations. Ce temps nouveau qu’instaure la marche (Rousseau aurait parlé de rêverie) est encore, pour l’auteur, le temps de la fuite et du pardon. Fuite des « tutelles anciennes » (travail, famille, obligations sociales), temporairement mises entre parenthèses, et réconciliation, sans doute, avec soi-même, grâce à cette « Présence » qui habite chacun de ses pas. Pourquoi ce titre ? Au milieu du récit, un couple de chevreuils, surpris dans une clairière, incarne l’image même que l’auteur poursuit : un idéal de liberté et d’amour, d’affranchissement social, de beauté souveraine. Même s’il doit retrouver sa ville, le promeneur solitaire gardera longtemps au fond des yeux cette image magique.
Le Miel de l’ours
Bibliothécaire, écrivain, Patrice Duret est également l’initiateur des éditions Le Miel de l’Ours, qui compte à ce jour trois titres — et non des moindres ! — à son catalogue : un beau recueil de poèmes de Jacques Chessex, Les eaux et forêts, les Fragments d’une graine de Georges Haldas et Plumes de crocodile**, un ensemble tout à fait réussi de poèmes de Marianne Bionda-Jimenez et des photographies de Patrice Moullet, dont les thèmes de prédilection sont l’enfance et le voyage. Textes et images se répondent, ici, dans un dialogue fécond et harmonieux, sans que jamais, l’un ait la préséance sur l’autre. Autant les photos sont parlantes, autant les poèmes, une source inépuisable d’images. Une vraie réussite. D’autres volumes sont prévus dans la même collection : un ensemble de textes de Jacques Roman, intitulé Je ne me souviens pas, et des poèmes de Maurice Chappaz. On ne peut que souhaiter bon vent à ce nouveau venu dans l’édition romande.
* Le Chevreuil, par Patrice Duret, Zoé, 2004.
** Les Plumes du crocodile, par Marianne Bionda-Jimenez et Patrice Moullet, Le Miel de l’Ours, 2004.