Il a y trois ans nous quittait Marc Jurt, immense artiste aux multiples talents, peintre et graveur, sculpteur et photographe, enseignant au Collège de Saussure et grand voyageur. En attendant l'exposition qui se tiendra au Chateau de Penthes en septembre 2009, « Géographie parallèle », qui met en regard 50 toiles de Marc Jurt et 50 textes de Michel Butor, nous rendons hommage à cet être solaire.
La mort est toujours un scandale : aveugle, elle frappe sans discernement ; sournoise, elle emprunte tous les masques ; acharnée, elle ne lâche jamais prise ; intraitable, elle veut toujours avoir le dernier mot.
Après des années de combat, mené avec courage et détermination, notre ami Marc Jurt nous a quittés le 15 mai 2006. Il avait 51 ans. Depuis son adolescence, il luttait contre un mal d’autant plus insidieux qu’il fut longtemps sans visage et sans nom. Un mal qu’il tenta de conjurer par tous les moyens dont il disposait, y compris la peinture et la gravure — arts dans lesquels il excellait — en dessinant son propre corps, de l’intérieur, à travers des anatomies bouleversantes de beauté et de vérité. Cartographier le mal, graver la maladie qui grave et creuse son corps, pour tenir tête à l’Ennemi sans visage, le railler encore une fois, et gagner du temps : telle fut la force de Marc Jurt.
Né en 1955 à Neuchâtel, Marc Jurt fréquenta l’École des Beaux-Arts de Genève où il impressionna d’emblée tout le monde par ses dons de graveur, véritablement hors norme. Par la finesse de son trait, la richesse singulière de son inspiration, qui repoussait toujours plus loin les limites de l’imaginaire, son humour, sa grande humilité, ce jeune prodige prit place aussitôt parmi les plus grands, tels Albert-Edgar Yersin ou Pietro Sarto. Marqué par le surréalisme, dont l’ambition suprême était de concilier la vie et rêve, Marc Jurt combina dans ses premières œuvres des éléments naturels (montagnes, nuages, végétation luxuriante) fortement symbolisés, avec des éléments fantastiques évoquant des puissances élémentaires et obscures. Son dessin, d’une précision d’horloger, ouvre une faille dans le réel, diaboliquement reproduit, mais comme retourné, ou éventré.
Mais ce talent d’orfèvre ne suffit pas à définir l’œuvre de Marc Jurt. Grand voyageur (il fit de nombreux séjours en Inde et dans l’archipel indonésien), il ouvrit la gravure occidentale à d’autres influences, à la fois techniques et esthétiques. Fasciné par la calligraphie chinoise, par exemple, il inventa, dans chaque toile, un alphabet imaginaire, plus vrai que le réel, qu’il superposa à la gravure première. De même, intéressé, depuis toujours, par la fabrication du papier, support final de la gravure, il fit venir du Japon, de Corée ou de Chine, des papiers merveilleux de finesse et de sensualité, qu’il découpait, imprimait, puis collait sur la toile, devenue palimpseste. Mêlant gravure, peinture et collage, ses dernières œuvres reflètent parfaitement cette ouverture au monde et cette inspiration fertile, constamment surprenante.
Fasciné par « la trace qui perdure quand l’être ou l’objet qui la laisse a disparu », Marc Jurt a littéralement exploré toutes les facettes de la gravure, dont il maîtrisait les techniques à la perfection (eau-forte, pointe sèche, aquatinte). Il a ouvert la gravure à la peinture, à l’écriture, à la trace aléatoire, à la couleur. Son œuvre, extraordinairement diverse, compte des centaines de tableaux et des milliers de gravures, exposés dans le monde entier. Tant il est vrai que Marc, même aux jours les plus sombres de sa lutte contre la maladie, n’a cessé de creuser sa trace.
Pas un jour sans une trace, c’est d’ailleurs le titre d’une série de 52 gravures : une par semaine, pendant un an, toutes magnifiques, toutes surprenantes. Ce pourrait être aussi la devise de cet artiste inimitable, qui creusait patiemment le temps qui nous marque, qui nous reste, qui nous manque.
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Hommage à Marc Jurt (1955-2006)
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