Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

amour - Page 2

  • Lettre d'amour à l'étrangère

    DSCN6155.JPGNous nous sommes rencontrés parmi les livres. Tu lisais Jaccottet, la poésie romande, les voyages de Bouvier. Et moi, déjà, j’essayais de m’évader de ce monde. Pour aller ailleurs. Vers l’autre monde. Toi.
    Je suis arrivé, un beau soir, avec mon ami Claude Frochaux, à l’hôtel du Skydome. Juste à côté de la tour du même nom.
    Octobre 1997. Salon du Livre de Toronto.
    Tu m’attendais, assise au fond d’un fauteuil en cuir vert, lisant, dans la pénombre, un livre d’Ella Maillard ou de Corinna Bille. Tes chers auteurs romands. Tu les lisais depuis le nouveau monde. Tu les lisais depuis l’exil d’une vie que tu avais choisie et qui te convenait parfaitement.
    C’est comme cela qu’il faut lire certains livres : dans le silence et le secret. L’exil heureux.
    Tu les lisais en m’attendant. De temps à autre, tu levais les yeux de ton livre, guettant l’arrivée de celui que tu devais accueillir. Un écrivain romand en fuite. Moi. Une dizaine de livres. Publiés à Paris, à Lausanne ou ailleurs. Pour reconnaître ton invité, tu avais une photo. Ancienne. En noir et blanc. Sur laquelle je portais une chemise imprimée de centaines de petits personnages.
    Nous sommes arrivés en traînant nos valises, fatigués par le long voyage. Trop absorbée par ta lecture, tu n’as pas levé l’œil de ton livre. Et c’est moi, en premier, qui suis allé vers toi. Sans te connaître. Ni te reconnaître. Car je n’avais pas de photo. Seulement quelques lettres échangées au cours de l’été précédent.
    Je connaissais ton nom : Corine. J’ignorais ton visage.
    Pourtant, sans te connaître, je t’ai reconnue. J’ai osé déranger la belle lectrice qui était absorbée entièrement par sa lecture. Tu nous as accueillis. Nous avons bu du vin, mangé des chicken wings devant la baie vitrée qui donnait sur le terrain de basket au centre de l’hôtel. Il y avait un match ce soir-là. Les Raptors de Toronto rencontraient les Hawks de Miami. C’était étrange et excitant. On parlait de littérature en admirant les dunks qui s’enchaînaient sur le terrain. Sous les applaudissements des spectateurs que nous n’entendions pas. Nous étions seuls au monde. Heureux dans notre cage de verre.
    Deux jours plus tard, je suis parti à Montréal. Donner des conférences. Rencontrer des lecteurs, d’augustes professeurs de fac qui avaient lu mes livres. On s’est téléphoné deux fois. Une fois brièvement. Une autre fois si longuement que j’ai raté la conférence que je devais donner à l’Université de Montréal. Au moment de partir, je t’ai écrit une lettre truffée de citations et de bons mots, de réflexions philosophiques. Pour te faire impression. Cela a bien marché. À mon retour en Suisse, une semaine plus tard, une lettre m’attendait.
    Et c’est par l’écriture que tout a commencé.
    Je t’écrivais le soir en t’envoyant, en primeur, un chapitre du livre que j’étais en train d’écrire. Le lendemain, à mon réveil, je trouvais un message de toi dans ma boîte. Qui me réclamait un autre chapitre. Bientôt, je fus à court de munition. Il me fallut inventer la suite du livre au fil des jours et des nuits. Tu n’étais jamais rassasiée. C’est ainsi que L’Enfant secret est né.
    Tu m’as rejoint deux ans plus tard, un certain 11 septembre. 1999. Tu as quitté le Nouveau monde pour retrouver l’Ancien. La terre où tu es née. Où tu étais devenue l’étrangère. Sauf pour moi, bien sûr. Depuis ce jour, je suis parti, puis revenu. Puis reparti. Quand on écrit, on n’a jamais fini de faire le tour du monde. Mais on n’a jamais cessé de s’écrire. En silence ou par mail. De nuit comme de jour. Les mots sont des serments. Des jonquilles. Des orages. Des primevères. Les ferments de l’amour insoumis.
    Saurai-je aimer comme j’écris ?

  • Noëlle Revaz ou l'amour improbable

    images.jpeg C'est avec impatience qu'on attendait le second roman de la valaisanne Noëlle Revaz (née en 1968). Sept ans après Rapport aux bêtes, rude roman rural, voici donc Efina, histoire d'amour improbable entre une jeune femme sans emploi et un comédien sur le retour, bégueule, duplice et impuissant. C'est peu dire que la déception est à la mesure de l'attente, tant au niveau du propos, inconsistant, de la construction (?) que du style, oscillant entre le tournures enfantines et les maniérismes (suppression des points d'interrogation, inversions systématiques, style oral, etc.)

    On comprend bien ce qui a pu fasciner l'auteur : décrire une relation « amoureuse » non seulement inaboutie, ou malheureuse, mais aussi inexistante. Tout commence, ici, par un malentendu : Efina retrouve une lettre d'un comédien fameux, T, laissée en souffrance depuis longtemps, et décide de lui écrire. Il lui répond. Ils se revoient. Ils couchent ensemble. C'est un désastre. Ils s'éloignent l'un et l'autre, se rapprochent sporadiquement, se séparent à nouveau. Entre eux, quelque chose à la fois les relie et résiste. obstinément. Elle multiplie les amants ; tous la laissent froide. Il vit entouré de femmes, sa carrière prend un nouvel  essor. Il accumule les aventures. Le cinéma s'intéresse à lui. De son côté, Efina se fait faire un enfant, puis se marie avec Raül (!) ; le couple décide de prendre un chien…

    Le roman, bizarrement construit, est fait des lettres — souvent répétitives — qu'échangent les amants improbables (on est loin des Liaisons dangereuses). Le roman progresse ainsi, cahin caha, sans véritable point fort, ni fil conducteur solide. On sent que l'héroïne se cherche, tout au long du livre, autant qu'elle cherche un homme qui pourrait la révéler à elle-même. Or, bien sûr, le comédien sur le retour ne le peut ou ne le veut pas. Il est flatté par cette groupie, ce « crampon » que rien ne décourage, même pas les lettres d'insultes ou les humiliations. Il reste campé dans son double rôle de comédien et de confident. Il a l'habitude qu'on l'adule. Depuis longtemps et sans raison. Il ne quitte jamais son personnage.

    On le voit : Efina ne prend pas, comme on le dit d'une sauce ou d'une mayonnaise. Les intermittences affectives des protagonistes lassent même le lecteur le mieux disposé. Le roman ne progresse pas. Il ne dit rien du trouble amoureux, ni de l'enjeu, central, d'une vraie relation. On reste à jamais prisonnier des faux-semblants. La déception est à la mesure de l'attente.

    Noëlle Revaz, Efina, roman, Gallimard, 2009.